Avant-critique Roman graphique

Gipi, "Stacy" (Futuropolis)

Stacy, P. 3 - Photo © Gipi/Futuropolis

Gipi, "Stacy" (Futuropolis)

Rentrée littéraire

Dans cet album d'inspiration autobiographique, Gipi dissèque les conflits intérieurs d'un scénariste qui tente de se relever d'une polémique. Une vision acide de l'époque.

Parution 21 août

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Par Anne-Claire Norot
Créé le 18.07.2024 à 09h00

Les démons du bien. En 2021, l'auteur italien Gipi a été couvert d'opprobre après avoir dessiné et publié sur Instagram un gag moquant un slogan féministe. Cet événement, qui l'a profondément atteint, l'a amené à écrire Stacy, un roman graphique aux accents autobiographiques qui révèle les tourments d'un homme aux prises avec la cancel culture.

Gianni, écrivain et scénariste réputé, débute un projet de série avec des collègues. Le jour même de leur première réunion paraît une interview dans laquelle il raconte son dernier rêve, l'enlèvement, par lui-même, d'une jeune fille, Stacy, qu'il décrit comme « bonne ». Tempête immédiate sur le web. Collègues et amis coupent aussitôt les ponts. Gipi ne s'attarde pas sur le tollé, évoqué en voix off, mais s'intéresse aux conséquences psychologiques pour le scénariste. Après l'incident, Gianni est brisé, déchiré entre deux attitudes. D'un côté, il veut à tout prix retrouver son statut et sa place dans la société, et pendant des semaines, il va faire amende honorable, s'excuser et se démener pour y parvenir. De l'autre, il veut se venger, imaginant même commettre un attentat. Pour figurer cette bataille intérieure, Gipi met en scène un double démoniaque de Gianni, avec lequel ce dernier dialogue tout au long de l'album et se confond. Le scénariste finit malgré tout par retravailler avec ses collègues. Mais sa vengeance prend une tournure perverse et insidieuse. Au lieu de s'opposer à eux, il les pousse au contraire vers des extrêmes woke, les entraînant à leur insu au-delà des limites du ridicule - comme dans une scène épique où l'équipe rédige à grand renfort d'émojis un SMS de condoléances à une amie qui a perdu son mari.

De cet album brut, au trait asséché, en noir et blanc, qui enchevêtre planches classiques, tapuscrits, texte manuscrit, lettres à cette Stacy imaginaire, sourdent à la fois les regrets et la colère de Gipi. Regrets de ne peut-être pas avoir mieux pris en compte la sensibilité de ses contemporains, colère contre leur hypocrisie et leur superficialité, qu'il épingle à travers des personnages et des comportements poussés jusqu'à la caricature (le personnage de Lalla dont l'engagement politiquement correct relève aussi d'arrière-pensées carriéristes). Qui a tort, qui a raison ? Où situer les limites ? Difficile ici de se prononcer. L'absurdité de certaines situations fait rire jaune et amène jusqu'à s'interroger sur l'essence même de l'humain. « Je refuse une humanité qui prétend que le mal n'existe pas en chacun de nous », déclare Gipi. Avec cette satire tragicomique, au souffle rageur, il offre une vision acide - et sans doute pour lui cathartique- de notre époque.

Gipi
Stacy
Futuropolis
Traduit de l'italien par Hélène Dauniol-Remaud
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 25 € ; 264 p.
ISBN: 9782754845649
18.07 2024

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