Avant-critique Roman

Grégoire Bouillier, "Le syndrome de l'Orangerie" (Flammarion)

Grégoire Bouillier - Photo © Pascal Ito/Flammarion

Grégoire Bouillier, "Le syndrome de l'Orangerie" (Flammarion)

Et si les Nymphéas de Monet n'avaient pas livré tous leurs secrets ? Grégoire Bouillier propose d'aller voir ce qui se cache sous la surface du célèbre étang de Giverny.

J’achète l’article 1.5 €

Par Laëtitia Favro
Créé le 12.08.2024 à 09h00

Il y a quelque chose de pourri à Giverny. « Je crois qu'un cadavre est caché là. » Face aux grands panneaux du musée de l'Orangerie, Grégoire Bouillier, alias Bmore (le privé à la tête de la Bmore & Investigations, déjà présent dans Le cœur ne cède pas, Flammarion, 2022), est soudain pris de vertige, saisi par l'évidence : les Nymphéas ne sont pas des tableaux de vie, mais de mort. De morts au pluriel corrige notre écrivain détective, dont l'enquête fiévreuse débute par ce diagnostic : le voici atteint du syndrome de l'Orangerie, « un indicible et persistant sentiment de tristesse », une angoisse permettant au contemplateur des Nymphéas d'effleurer le sublime.

S'immergeant dans la vie et l'œuvre de Monet, Bmore voit bientôt son intuition confirmée : sous la surface paisible de l'étang repose un véritable charnier. L'année au cours de laquelle Monet commence à peindre les grands panneaux constitue un premier indice : 1914, prémices de la grande boucherie qui allait ensevelir neuf millions de vies. « Ce que Monet peint entre 1914 et 1918, c'est le temps de la guerre et c'est la guerre faite temps. » C'est également le deuil de son premier fils, Jean, mort en février 1914. Un deuil qui l'avait éloigné des pinceaux, qu'il reprend en main au début des hostilités, non plus simples outils de l'artiste mais armes de guerre. « Le jour où la France entra en guerre contre l'Allemagne, j'imagine soudain Monet écrire dans son journal : "Aujourd'hui, nymphéas." », songe l'auteur, en référence au Journal de Kafka, dans lequel ce dernier notait le 2 août 1914 : « L'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Après-midi piscine. »

Pendant quatre ans, Monet ne cesse de peindre alors qu'un autre mal le ronge : souffrant de cataracte, l'impressionniste s'enfonce peu à peu dans l'ombre alors que la lumière fut sa raison d'être. Les Nymphéas constitueraient-ils donc un tombeau pour son art ? Le plan de l'Orangerie tel que conçu par Monet, reproduit dans le livre, est en cela troublant, car le musée prend la forme... de bésicles. Tout aussi troublant l'autoportrait réalisé en 1905 par le peintre (à l'aide d'un appareil photo cette fois), sur lequel on distingue, flottant au-dessus du bassin de Giverny, l'ombre de son chapeau. Et que dire du choix des nymphéas, plante que Monet représente non pas dix, ni cent, mais plus de quatre cents fois ? « Pourquoi des nymphéas et pas des tulipes, des marguerites, des rhododendrons ? C'est joli aussi les coquelicots ! » D'autant que Monet, féru de botanique et de jardinage, ne pouvait en ignorer la signification morbide : anaphrodisiaque, faisant perdre « la faculté du coït » tel que l'indique déjà au premier siècle de notre ère l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, les nymphéas incarnent « la mort du désir ». Les recherches menées par Grégoire Bouillier vont nous conduire également à Londres, au Japon, à Auschwitz-Birkenau et à Giverny, dans les secrets les mieux gardés du grand atelier, que son écriture, savant dosage d'humour et d'érudition, révèle par petites touches, permettant ainsi au lecteur de recomposer une fresque tant intime qu'historique. Une fois la dernière page tournée, l'irrésistible envie de courir à l'Orangerie pour en éprouver le syndrome nous saisit : vous voici prévenus.

Grégoire Bouillier
Le syndrome de l'Orangerie
Flammarion
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 22 € ; 432 p.
ISBN: 9782080445742

Les dernières
actualités