Avant-Critique Essai

Hans Magnus Enzensberger, "Un bouquet d'anecdotes ou opus incertum" (Gallimard) : M comme Mémoires

Hans Magnus Enzensberger - Photo © Catherine Hélie/Gallimard

Hans Magnus Enzensberger, "Un bouquet d'anecdotes ou opus incertum" (Gallimard) : M comme Mémoires

Le poète et essayiste allemand Hans Magnus Enzensberger conscrit ses souvenirs d'enfance et jeunesse sous la plume d'un certain « M. »

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Par Sean Rose,
Créé le 08.05.2022 à 13h00 ,
Mis à jour le 09.05.2022 à 16h02

La poésie n'est pas ennemie de la pensée. Au dam des cartésiens qui la croient vaporeuse, chez Hans Magnus Enzensberger elle contient une bonne dose d'analyse. À travers son œil perçant et ses mots acides, l'écriture poétique de l'auteur allemand né en 1929 n'hésite pas à dire les prosaïques fondements qui sous-tendent l'édifice petit-bourgeois pour mieux le fustiger. « À quoi bon je ne tiens pas à te connaître, homme / à l'œil d'eau, aux cheveux de paille grasse / au porte-document farci de fromage » (« À un homme dans le tramway« , Défense des loups, 1957). Enzensberger est également essayiste, il a réfléchi sur « les hommes de la terreur » dans Le perdant radical (Gallimard, 2006), ou sur le déficit démocratique des institutions européennes dans Le doux monstre de Bruxelles (même éditeur, 2011).

Pour Platon, on n'atteint la vérité qu'en se ressouvenant des idées situées dans ce ciel que notre corps a quitté du fait de notre naissance. Seule notre âme peut rebrousser chemin. Sans vouloir pour autant prétendre à atteindre cet horizon idéel, Hans Magnus Enzensberger effectue cette opération de réminiscence afin de grappiller quelques éclats de sa vérité. Un bouquet d'anecdotes ou opus incertum est un essai autobiographique, constitué de vignettes. Le narrateur se désigne par la seule initiale « M. ». Né en 1929 dans la catholique Souabe bavaroise, la semaine même où la Bourse de New York s'effondre, M. raconte son histoire. Il commence par le commencement, c'est-à-dire les parents. Le père de M., ingénieur, est orphelin de père et sans fortune. D'abord receveur des postes, il sera nommé directeur du télégraphe. Sa mère, « une jeune femme un peu scout » à l'époque où elle rencontre le père de M. qu'elle épouse sans l'autorisation de son propre père, s'occupe des quatre garçons dont M. est l'aîné. Il y a dans ces Mémoires, en vrac, quoique chronologiques, une façon puzzle. De son premier amour la blonde fille de l'épicier à son séjour parisien dans les années 1950 ou à la mort de son petit frère idéaliste Christian le vrai poète, en passant par l'Allemagne du IIIe Reich et son idéologie nazie - dans les dernières semaines de la guerre il doit comme tous les collégiens de son âge endosser l'uniforme de la Wehrmacht, dont il désertera. Machine à coudre Singer de sa mère, dictionnaire miniature bilingue « Deutsch-English » que M. vole à l'étalage, horloge coucou fabriquée en Forêt-Noire qu'il offre aux soldats anglais, les photographies qui jalonnent l'exercice d'anamnèse accentuent l'impression de taxonomie poétique. Un parti pris des choses. Choses qu'on ne saurait jamais complètement saisir : « Quand il écrit sur lui-même, / Il écrit sur un autre. / Dans ce qu'il écrit / Il a disparu. »

Hans Magnus Enzensberger
Un bouquet d'anecdotes ou opus incertum Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 20 € ; 208 p.
ISBN: 9782072869716

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