27 mars > Novellas France

Format intermédiaire, ni court ni long, ni nouvelle ni roman, et cher aux Anglo-Saxons, la novella est peut-être en train de séduire les écrivains français. Récemment, Anna Gavalda. Aujourd’hui J. M. G. Le Clézio. Un genre qui convient bien à ce miniaturiste ample, observateur discret de destinées humaines plutôt cabossées par la vie, contées tout en délicatesse, et avec une empathie manifeste pour le genre humain. Les femmes, surtout.

Dans "Tempête", première novella du recueil qui reprend son titre, la "vedette" - si l’on ose écrire - et la narration se partagent entre Philip Kyo, un quinquagénaire aussi séduisant qu’énigmatique, et June, une toute jeune femme, fille d’une plongeuse et d’un GI, arrivés un peu par hasard dans une île perdue de l’archipel japonais. Kyo, lui, y revient, trente ans après que son amie de l’époque, Mary Song, s’est suicidée en partant au large, sans raison apparente. Ex-reporter de guerre, écrivain sans œuvre, est-il venu mourir à son tour, comme en pèlerinage, pour expier la honte qu’il porte en lui ? Il a assisté autrefois, à Hué, au viol collectif d’une fille par des soldats, et n’a rien fait ni rien dit. Passivité qui lui a valu six ans de prison.

Entre June et Kyo, que trente-huit ans séparent, une étrange relation s’installe. Ambiguë, forcément, mais pas malsaine. Elle rêve que M. Kyo est son père, puis "l’homme de [sa] vie" tandis que lui la considère comme "un ange, un être humain". Et, à peine pubère, elle développe vis-à-vis de la pharmacienne, dont Kyo est l’amant, une vraie jalousie de femme. Sentiments déséquilibrés, amours impossibles, rapports complexes de June avec sa mère, qui finiront par s’apaiser, l’histoire ne peut que s’achever sur des ruptures…

"Une femme sans identité" s’attache à une histoire encore plus brutale. Rachel, la narratrice, a vécu, enfant, en Afrique avec son père, sa deuxième femme, Esther, et Abigaïl dite Bibi, leur fille, dans un apparent bonheur tropical et luxueux. Mais des dissensions, de violentes disputes surviennent de plus en plus fréquemment dans le couple, dont Rachel est souvent le sujet. Un jour, elle surprend des propos qui fracassent sa vie : elle est née sans mère, sans nom, "d’un accident dans une cave". En clair, son père a abusé de sa mère biologique, dont elle ne sait rien d’autre. Rachel, alors, "a la haine", comme on dit familièrement - registre que Le Clézio emploie volontiers lorsque son personnage exprime ses sentiments. La famille, ruinée, se réfugie en France et se disloque. Le père fuit en Belgique. Les filles restent avec la mère. Rachel mène une vie d’errance et de bohème, aux côtés d’Hakim, un musicien. Tandis qu’Abigaïl, qui a toujours rêvé d’une vie facile, se prostitue. Il leur faudra encore subir bien des épreuves pour se retrouver, tenter de se construire, et solder leur passé douloureux : Rachel, surtout, qui ne rêve que de retour en Afrique, comme d’un paradis perdu.

Bien des points communs unissent les deux pans du diptyque : la priorité donnée aux héroïnes féminines, les drames qu’elles ont vécus, l’exotisme maritime des lieux, et cette simplicité stylistique apparente dans la narration, les dialogues blancs. Ce Le Clézio "novellaste" est à son meilleur.

Jean-Claude Perrier

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