Déjà remarqué avec son coup d’essai, Un arrière-goût de rouille (Denoël, 2010, repris en Folio), qui lui avait valu d’être choisi par le New Yorker parmi les vingt meilleurs écrivains de moins de 40 ans et d’être salué par Michiko Kakutani dans le New York Times, Philipp Meyer frappe plus fort encore avec Le fils.
Un opus magistral, finaliste du prix Pulitzer, qui lui a demandé cinq années de travail. Le prosateur allant jusqu’à chasser le bison, manier l’arc et la flèche, tanner des peaux de chevreuil et boire du sang afin de savoir de quoi il parlait. Car Meyer a vu large. Et décidé de se confronter au mythe fondateur et aux origines des Etats-Unis. De raconter une histoire sanglante, qui commence avant la guerre de Sécession et remonte jusque après le 11 septembre 2001, en alternant trois récits.
Voici d’abord le centenaire Eli McCullough, rivé à son lit en 1936 alors que la fin se rapproche. Fils de pionniers installés sur les terres de chasse indienne, le "Colonel" se souvient qu’à 10 ans il avait déjà creusé quatre tombes. Qu’à 12 ans il avait tué la plus grosse panthère du comté, dans la République du Texas où se côtoyaient Allemands, Indiens et Mexicains. La vie du jeune Eli avait basculé quand il a vu sa mère et sa sœur violées et assassinées devant lui par les Comanches. Quand il a été fait prisonnier avec son frère, qu’il a été rebaptisé Tiehtetei. Qu’il a été immergé dans une autre culture et découvert la pratique du scalp.
La deuxième voix du livre est celle de l’un de ses fils, Peter McCullough, qui, en 1915, a suivi le massacre de milliers de propriétaires de ranchs américano-mexicains par les Rangers. Un Peter qui passe pour être la honte de la famille. Et affirme qu’il a toujours su qu’il ne laisserait rien de lui, aucune trace de son passage sur terre… La troisième voix, enfin, se fait entendre en 2012. Jeanne Anne McCullough, arrière-petite-fille du Colonel et petite-fille de Peter, a alors 86 ans et se trouve étendue sur le sol de sa maison. Gamine, elle préparait des "mint juleps" pour le Colonel, se promenait avec lui, trayait les vaches, s’occupait des veaux. Jeannie est partie voir le monde, New York et le Connecticut. A battu en retraite, regagné le Texas. S’est imposée, enrichie grâce au pétrole, figurant à la une du Time Magazine…
Conteur incroyable, Philipp Meyer a parfaitement digéré son énorme documentation et réécrit trois fois complètement Le fils. Le résultat donne un roman puissant et fort qui réussit à être réaliste et onirique à la fois. A donner à lire d’une manière neuve le rêve américain avec ses nombreux dommages collatéraux.
Alexandre Fillon