Tribune

Par Denis Merklen, sociologue à l’université Sorbonne Nouvelle Paris-3, auteur notamment de Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ? (Presses de l’Enssib, 2013).

La ville de Clamart a récemment manifesté sa volonté de fermer dès cet été l’historique Petite Bibliothèque ronde, établissement pour les enfants de renommée mondiale créé en 1965 par l’association La Joie par les livres et guidée pendant des décennies par Geneviève Patte. Prétextant des travaux, cette intention vient confirmer le bruit qui court depuis la campagne des municipales du 23 mars 2014. Lors de ces élections, Jean-Didier Berger (UMP, puis LR) l’emporte sur l’équipe socialiste.

Peu avant, dans la nuit du 14 au 15 mars 2014, un groupe de jeunes entre dans la bibliothèque après avoir brisé ses vitres. Ils saccagent la banque de prêt, cassent les écrans d’ordinateurs, et partent ensuite sans rien voler : une action symbolique certainement déclenchée par la campagne électorale. Quand nous avons enquêté et discuté avec les habitants de la cité, ils nous ont fait part du bruit qui courait alors : si la droite gagnait les élections, La Petite Bibliothèque ronde serait fermée, les locaux récupérés à d’autres fins. Les habitants n’avaient pas complètement tort. Dès 2015, la nouvelle municipalité confirme les rumeurs. Des problèmes de sécurité, de l’amiante, les vandalismes dont elle est l’objet, l’existence d’une bibliothèque municipale à quelques centaines de mètres du quartier : tous les prétextes sont invoqués comme autant de motifs pour fermer La Petite Bibliothèque ronde et déplacer l’association qui n’aurait ainsi plus de raison d’être. Cinquante ans après son ouverture, cette bibliothèque est menacée par le pouvoir politique. Est-ce la lecture publique locale qui, ambitieuse, pense accaparer son prestige en récupérant le bâtiment que la municipalité a reçu en donation dans les années 1970 ? Récupérer un immeuble classé Monument historique, internationalement admiré, et le vider du projet et de l’association qui l’a créé, qui l’a animé et intégré à la vie de ce quartier populaire… Cette même association dont le projet fait cette année partie des 63 lauréats de "Partir en livre", la fête nationale du livre jeunesse organisée par le Centre national du livre.

La profession pourra-t-elle s’insurger pour défendre ce projet unanimement salué par le rôle qu’il a joué et continue à jouer dans la recherche et la diffusion de formes innovantes de la lecture pour enfants ? Est-ce que les autorités nationales du ministère de la Culture voudront agir ? Qui va défendre la belle et jeune équipe de 12 personnes qui travaille à la bibliothèque et dont l’avenir est certainement menacé ? Que feront les habitants du quartier et de Clamart ? Est-ce que les bibliothèques associatives ont encore un espace dans les dispositifs de la lecture publique ? Au moment où de nombreuses bibliothèques de proximité cherchent à promouvoir la participation des usagers et des habitants, il paraît pour le moins paradoxal que les expériences reconnues se voient ainsi en péril. Nous le savons depuis qu’elle est devenue un enjeu démocratique : la lecture demande des efforts continus et permanents parce qu’elle est toujours menacée.

03.06 2016

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