On sait depuis les travaux de Jacques Le Goff, grand médiéviste et préfacier de cet excellent petit livre, que le Moyen Age ne fut pas si sombre ni si moyen que cela. On n'imaginait pas en revanche qu'il fût si fertile en matière d'inventions. Pour preuve, Chiara Frugoni dresse un tableau édifiant de ce que nous devons à ces temps anciens, le tout appuyé par des illustrations de grande qualité.
De cette historienne italienne qui a enseigné à l'université de Pise et à celle de Rome, on ne connaissait en français que son remarquable Saint François d'Assise (Noesis, 1997, puis "Pluriel", 1999), qui se distinguait par sa densité, cette façon de dire beaucoup en peu de mots. On retrouve ces mêmes qualités dans ce Moyen Age sur le bout du nez.
Avec seulement l'imprimerie à caractères mobiles et le livre, on saisit combien cette période a transformé nos vies. Mais ce serait oublier les lunettes auxquelles le titre fait allusion, les boutons et les culottes, l'université, la banque, les pâtes alimentaires, la fourchette, les nombres arabes et le fameux zéro.
Si le Moyen Age n'est pas à l'origine de toutes ces innovations, il en fut le propagateur. Chaque invention importante est ainsi racontée avec beaucoup de saveur. On apprend que Pétrarque devait ses lunettes à Jourdain de Pise et aux dominicains, qui apprirent à les fabriquer. Il est pourtant bien difficile d'attribuer un nom au créateur des lunettes. "On peut supposer que l'inventeur des lunettes était un laïc qui devait vivre de son travail et qui entendait par conséquent tirer un bon profit de son invention." Avant cela, on utilisait le miroir convexe qui renvoyait une image agrandie mais renversée... Les lunettes eurent tant de succès auprès des lettrés qu'elles se répandirent dans des miniatures à tel point que Luc, l'un des rédacteurs de l'Evangile, en est lui aussi affublé...
C'est au Moyen Age également qu'apparaissent les notaires, le jeu d'échecs, venu d'Inde, ou l'horloge à échappement, qui impose l'Eglise dans sa maîtrise du temps. C'est à cette époque que l'on donne un nom aux notes de musique et que l'on adopte - au VIe siècle - le 25 décembre comme date de naissance du Christ, qui devient le premier jour de l'année. C'est toujours durant cette longue période qu'apparaisent le gouvernail sur les bateaux - on utilisait jusqu'alors une rame - et le fait de se tenir à table, lié à l'arrivée des populations germaniques. Auparavant, les Grecs, les Romains, Jésus et les apôtres mangeaient couchés. Mais c'est hélas aussi au XIe siècle, après la première croisade, que naît le sentiment antisémite.
Au fil des pages, on revisite autrement la société médiévale et l'on apprend même l'origine de l'expression "c'est une autre paire de manches !", qui fait référence aux manches amovibles destinées à éviter les lessives. Bien mieux qu'un guide, Chiara Frugoni nous transporte dans ce petit bijou d'érudition et de malice avec des découvertes à chaque page.