20 août > Roman Islande

C’est un dimanche matin, glacial, de nuit blanche, de cuite, où vous attendez un taxi dans le centre-ville de Reykjavik. Alors que l’avenir ne vous promet rien d’autre que d’avoir mauvaise haleine, une fille que vous n’avez pas senti arriver se colle à vous pour avoir moins froid. Votre vie vient de changer. Durant les années et les 600 pages à venir, vous allez aimer, être aimé, être trahi, découvrir que votre rival est un néonazi cultivé, vous enfuir à travers l’Europe et jusqu’à Oradour-sur-Glane, attraper la grippe porcine, prendre de plein fouet les effets de la crise économique, vous promener en permanence avec un étui pénien sur vous, mettre le feu à votre appartement, réfléchir à l’insularité de l’Islande, au destin des Juifs morts de Lituanie et d’ailleurs. Vous allez souffrir, et ne regretterez pas une once, pas une minute de cette souffrance. Vous allez vivre. Vous allez être le héros du plus choquant et du plus beau des livres d’amour, de politique et de solitude de ces dernières années.

Rien que ça ? Non, ça, entre autres, tant Illska, première traduction en français de l’Islandais Eiríkur Orn Norddahl, est un "roman monde", ouvert aux vents de l’Histoire et à la démesure de son récit, alternant sans cesse entre micro et macroéconomie narrative.

C’est donc l’histoire d’Omar qui rencontre Agnes dans le Reykjavik d’aujourd’hui. Lui, glande entre livraisons de pizzas et études plutôt fuligineuses ; elle, prépare une thèse sur les populistes en Europe, qu’elle réorientera bientôt sur l’extrême droite contemporaine. Cette jeune femme d’origine lituanienne est obsédée par la Seconde Guerre mondiale et la Shoah depuis ce jour de 1941 où, dans la petite ville de Jurbarkas, toute la population juive a été massacrée et l’un de ses grands-pères tué par l’autre. Pourtant, Agnes tombera sous le "charme" d’Arnor, l’un des chefs de file des groupuscules néonazis de Reykjavik, brillant, amateur de paradoxes et de rhétorique, avec lequel elle trompera Omar. Il y aura dès lors dans ce ménage à trois beaucoup de départs, beaucoup de solitude. Et un enfant aussi.

Eiríkur Orn Norddahl est un illusionniste postmoderne qui ne croit plus en rien si ce n’est dans les pouvoirs chamaniques et renouvelés de la fiction. Il joue dans Illska de tous les registres, sans perdre de vue qu’aucune déclaration d’intention, aucun art poétique ne saurait se passer de la chair des personnages. Il n’assène rien, il orchestre, il donne du sens à un chaos magnifique. En cela, son livre n’a sans doute d’autre équivalent dans le paysage romanesque contemporain que Les détectives sauvages de Roberto Bolaño (Christian Bourgois, 2006), livre essentiel. Naissance d’un très, très grand écrivain. O. M.

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