Dernier des trois principaux représentants de l'“école de Bruxelles” depuis la disparition d'Hergé et d'Edgar P. Jacobs, mais aussi plus largement dernier monstre sacré de la bande dessinée franco-belge encore vivant après la mort, notamment, de Peyo et de Franquin, Jacques Martin est décédé jeudi 21 janvier en Suisse à l'âge de 88 ans, en laissant une oeuvre considérable, dont son éditeur Casterman est autorisé à assurer la pérennité en concertation avec ses ayants droits.
Né à Strasbourg en 1921, Jacques Martin, dont le père était aviateur, s'est très tôt pris d'une double passion pour la bande dessinée, à travers la découverte de comics américains alors traduits par Hachette, et pour l'histoire, qui a constamment nourri son oeuvre, d'autant plus utilisée et commentée dans les établissements scolaires, que le dessinateur affichait lui-même de fortes préoccupations pédagogiques.
Empêché par sa mère et ses tuteurs d'étudier aux Beaux-Arts comme il le souhaitait, le dessinateur avait été orienté autoritairement vers les Arts et métiers, dont la technicité de l'enseignement a par la suite profondément imprégné une oeuvre d'une si grande rigueur qu'elle a fait de lui un des maîtres de la “ligne claire”.
Etudiant en Belgique, Jacques Martin commence à publier en 1946 dans l'hebdomadaire Bravo des séries humoristiques (Monsieur Barbichou, oeil de perdrix) ou réalistes (Lamar, l'homme invisible) avant de côtoyer dès 1948 au sein du Journal de Tintin Edgar P. Jacobs et Hergé, avec lequel il a collaboré sur de nombreux albums de Tintin.
Alix apparaît en 1948
Le premier épisode de sa série emblématique au héros gallo-romain, Alix, Alix l'intrépide, paraît en feuilleton dans le Journal de Tintin à partir du 16 septembre 1948. Au début des années cinquante, Jacques Martin crée son pendant contemporain, Lefranc.
Poursuivant les deux séries en parallèles, d'abord au Lombard, puis chez Casterman, le dessinateur livre plusieurs chefs d'oeuvre tels Les légions perdues, Le dernier spartiate et L'empereur de Chine (Alix) ou encore Le repaire du loup (Lefranc).
En 1984, il est fait chevalier des Arts et des lettres.
Après avoir créé Arno avec André Juillard au dessin, chez Glénat dans les années quatre-vingt, Jacques Martin lance, en s'appuyant sur une équipe de jeunes dessinateurs qu'il a formés, de nouveaux personnages tels le héros médiéval Jhen, Orion puis Kéos (Grèce antique) ou Loïs (à l'époque de Louis XIV) au cours des années quatre-vingt dix, tout en changeant plusieurs fois d'éditeurs pour telle ou telle série (Orix, Bagheera, Hélyode...). Il lance aussi des séries d'albums documentaires “Les voyages d'Alix”, “Les voyages d'Orion”, etc.
Une convention de 10 ans
De retour chez Casterman à la toute fin des années quatre-vingt dix, il signe en janvier 2005 avec la filiale de Flammarion une convention de dix ans renouvenable afin d'assurer la pérennité de son oeuvre désormais cogérée au sein d'un “Comité Jacques Martin” par deux éditeurs de Casterman, dont Arnaud de la Croix, et par les deux enfants du dessinateurs, Bruno et Frédérique Martin.
Jacques Martin, qui a vendu plus de 15 millions de volumes d'aventures (plus de 70 titres) et de “Voyages” (plus de 50 titres) traduits en dix langues, dont plus de 7 millions d'exemplaires d'Alix, plus de 3 millions de Lefranc et 1 million de Jhen, laisse à ses successeurs une “bible” détaillée de ses personnages, remise à tous les collaborateurs de ses séries, principalement Alix, Lefranc, Jhen et Loïs, ainsi que plusieurs dizaines de synopsis pour de nouvelles histoires.
Casterman annonce pour mars un “Voyage de Loïs” au Portugal, en même temps qu'un volume Rome : itinéraires avec Alix dans une nouvelle collection coéditée avec Lonely Planet ; pour avril un “Voyage d'Alix” à Nîmes et au Pont-du-Gard et pour octobre un autre à Orange et Vaison-la-Romaine.
Le 21e Lefranc, Le châtiment d'Hollywood, dessiné par André Taymans, est annoncé en juin, le 12e Jhen le 15 septembre et le 29e Alix, au titre prémonitoire, Le testament de César, le 13 octobre.