Jean- Christophe Grangé : "S'il n'y a pas de traumatisme, il n'y a pas d'histoire."

Jean-Christophe Grangé chez lui avec son chien Nino. - Photo OLIVIER DION

Jean- Christophe Grangé : "S'il n'y a pas de traumatisme, il n'y a pas d'histoire."

À l'occasion de la parution de Sans soleil, Jean-Christophe Grangé revient, depuis Tokyo où il réside pour moitié, sur ce qui dirige sa vision du polar : l'héroïsme et la conjuration de la peur.

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Par Propos recueillis par Julie Malaure Photos Olivier Dion
Créé le 30.12.2024 à 12h00

Sans soleil, comme vos deux précédents romans Les promises et Rouge karma, ne se déroule pas de nos jours. Notre époque vous fait-elle fuir ?

C'est vrai qu'avec Les promises (2021), pour la première fois, j'écrivais une histoire qui ne se passait pas à notre époque. J'y explorais le nazisme et les années 1940. Dans mon livre suivant, Rouge karma, j'ai tenté une aventure historique au temps des hippies. Cette fois-ci, j'ai choisi les années 1980 et l'époque disco parce que j'aime avoir une toile de fond forte et chaotique pour ancrer mon histoire policière. J'ai aimé créer des personnages menant une enquête de manière traditionnelle. Pour moi, un polar, c'est un enquêteur qui frappe aux portes et fouille dans de vieilles bibliothèques. Aujourd'hui, un enquêteur reste derrière son ordinateur et cela me semble beaucoup moins romanesque.

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Jean-Christophe Grangé chez lui- Photo OLIVIER DION

Dans les années 1980, vous aviez 20 ans. Étiez-vous familier de l'univers que vous décrivez dans Sans soleil ?

J'ai bien connu ce que je décris, c'est-à-dire la nuit parisienne, côté homo. C'est une période que je qualifierais de féerique pour moi, même si le mot est un peu fort. Il y avait une effervescence nocturne, une obsession du look, et la musique des Bains Douches était absolument extraordinaire. Ça a été un grand moment de mon apprentissage. C'était une période à la fois folle et joyeuse, une renaissance pour les homosexuels qui, pour la première fois, sortaient de l'ombre. Puis, elle est devenue crépusculaire avec l'arrivée du sida : on ne parlait plus que de morts et de maladie.

Le polar s'organise traditionnellement autour d'un duo, façon Sherlock Holmes et Watson. Vous en êtes à votre troisième trio. Avez-vous trouvé la formule parfaite ?

Un trio, c'est trois dimensions. J'aime particu-lièrement développer mes personnages principaux, et s'ils sont trois, cela me demande plus de travail, mais cela me permet aussi de tracer trois destins et d'obtenir trois perspectives différentes sur l'enquête.

Le trio de Sans soleil, un médecin obsessionnel, un flic né dans un asile psychiatrique et une lycéenne argentine violée par son oncle, est rudement marqué...

Bien sûr, je pourrais choisir des personnages sans traumatisme, des personnages lisses. Mais vous connaissez la suite : s'il n'y a pas de traumatisme, il n'y a pas d'histoire. C'est aussi pour cette raison que je n'utilise pas de personnage récurrent. J'aime qu'il y ait une rencontre entre l'histoire personnelle de mes personnages, leurs blessures, et l'enquête elle-même. L'enquête devient pour eux une occasion de se sauver, de trouver une raison de vivre ou de se relever. Bien que mes enquêtes soient très sombres, j'aime transformer des personnages traumatisés et malheureux en héros. Ces trois-là − Daniel Ségur le médecin, Patrick Swift le flic et Heidi Becker la lycéenne − vont chacun à leur manière devenir les héros de cette enquête et décider d'aller jusqu'au bout.

L'héroïsme, c'est important pour vous ?

C'est si important que j'ai peu d'affinités avec les livres qui en manquent. J'aime les personnages du côté du bien, qui veulent vaincre le mal, accomplir des prouesses et faire preuve de courage. Je suis resté fidèle à cette version classique de l'héroïsme, celle du chevalier qui combat le mal, comme saint Michel affrontant le dragon. Quand je retrouve cette dimension dans un polar, je suis satisfait. Au contraire, les romans noirs sans cette dimension de lutte, peuplés de personnages désabusés et cyniques, m'ennuient. J'aime les héros.

Est-ce ce goût pour l'héroïsme qui vous a poussé vers le polar ?

Complètement. Il y a un malentendu : certains pensent que je suis complaisant avec la violence. En réalité, c'est l'inverse. On écrit souvent sur ce qui nous pose problème, et pour moi, l'écriture est une catharsis. Je suis quelqu'un qui ne supporte pas la violence ni la cruauté humaine, alors naturellement, en écrivant, j'aborde ces thèmes. Dans mes romans, le bien finit toujours par triompher : le méchant est identifié et vaincu. Le chevalier gagne contre le dragon, le flic contre le mal.

Vos tueurs ont souvent un penchant pour les armes blanches. Vous aimez ce côté tranchant ?

Oui, parce que cela me terrifie. Je tombe dans les pommes à la vue de mon propre sang ! Il n'y a rien de plus horrible, pour moi, que le sang qui coule et les plaies ouvertes. Laisser le sang s'écouler, c'est voir la mort s'approcher. Alors, dans mes livres, mes crimes sont particulièrement horribles, à l'arme blanche, souvent accompagnés de rituels macabres. Mais ensuite, ils sont toujours suivis d'une scène d'autopsie.

Qu'apportent-elles, ces scènes d'autopsie ?

C'est une sorte de cartographie de la folie du tueur. Analyser les blessures infligées par le tueur permet de comprendre sa personnalité. C'est un peu comme observer une forêt vue du ciel : certains détails ressortent, offrant une perspective globale. Dans mes polars, cela fonctionne comme l'histoire du Petit Poucet. Les blessures sont les cailloux, des indices pour remonter jusqu'au tueur. Il n'y a pas tellement d'autres indices, il n'y a aucune vidéo qui permettrait d'identifier le tueur, on ne le trouve pas grâce à une plaque d'immatriculation. Les blessures sont les clés.

Comment expliquez-vous le tropisme africain qu'on vous connaît depuis Lontano (2015) et Congo requiem (2016) ?

J'étais un intellectuel casanier avant de devenir reporter. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé projeté aux quatre coins du monde, découvrant la beauté, la violence et la puissance des pays lointains. Parmi toutes ces émotions, l'Afrique m'a particulièrement marqué. Ses paysages sont les plus inquiétants. Dans le deuxième tome de Sans soleil, une partie se déroule dans une forêt profonde africaine. C'est pour moi l'image parfaite du polar : un homme seul, qui avance sur un chemin étroit dans une jungle incompréhensible, comme dans Au cœur des ténèbres de Conrad ou La voie royale de Malraux.

D'où vient la noirceur de vos idées ?

Ah, cela, vous le découvrirez dans mon prochain livre à paraître. Ce sera un récit autobiographique où je raconte mon enfance, si terrifiante que les amateurs de thriller ne seront pas déçus.

Jean-Christophe Grangé
Sans soleil, t. 1. Disco inferno
Albin Michel
Tirage: 130 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 416 p.
ISBN: 9782226480798
Jean-Christophe Grangé
Sans soleil, t. 2. Le roi des ombres
Albin Michel
Tirage: 110 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 400 p.
ISBN: 9782226480804

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