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Jean-Luc Barré et Stéphane Breton (Plon) : « La collection “Terre humaine” doit répondre à la question “Qui sommes-nous ?” »

Les deux premiers livres de la collection Terre humaine - Photo Plon

Jean-Luc Barré et Stéphane Breton (Plon) : « La collection “Terre humaine” doit répondre à la question “Qui sommes-nous ?” »

En 2025, les éditions Plon comptent relancer « Terre humaine », la mythique collection qui a fait découvrir l'ethnologie au grand public. Jean-Luc Barré, directeur de la maison et Stéphane Breton, nouveau directeur de la collection, nous dévoilent leurs ambitions. Interview.

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Par Jacques Braunstein, Éric Dupuy
Créé le 05.07.2024 à 16h14

Livres Hebdo : Jean-Luc Barré, quels sont vos nouveaux projets pour Plon, dont vous avez pris la direction au début de l’année ?

J-L.B. : « Feux Croisés », « Dictionnaires amoureux », « Terre Humaine »… Nous avons la chance chez Plon d’avoir des collections. Cela fait l’identité de la maison et c’est un axe important pour moi. Les « Dictionnaires amoureux » vont très bien, mais pourquoi les autres collections ont-elles été laissées en jachère ? Quand je parle à des libraires de relancer « Terre humaine » ou « Feux croisés », notre collection de littérature étrangère, en partant des fondamentaux, je note des réactions extrêmement positives. Jean Malaurie, le fondateur de la collection « Terre humaine » décédé à 101 ans au début de l’année a pensé les nouveaux territoires de l’histoire, de la sociologie, du témoignage et pas seulement de l’ethnologie. C’était un visionnaire, un pionnier, on change d’époque, mais pas d’esprit. Et l’année 2025 marquera le 70e anniversaire de la publication du livre de Claude Lévi-Strauss Tristes tropiques (voir encadré) dans la collection « Terre humaine ». Une collection qui continue à vivre sur son fonds. Il ne faut pas qu’elle devienne une sorte de mausolée, et c’est pourquoi il y aura beaucoup de créations.

Stéphane Breton, vous êtes plus identifié comme cinéaste que comme écrivain ou éditeur, est-ce un atout ou un handicap pour relancer «Terre humaine » ?

S.B. : Je fais des films qui sont dans la perspective de « Terre humaine » mais bien plus confidentiels. Je vais voir des coins du monde, j’essaie d’en saisir la logique, je le raconte avec des images. Ce sont des films qui ont un caractère littéraire. D’ailleurs l’esprit de « Terre humaine » m’occupe depuis que je suis devenu éthologue à la suite de la lecture de Tristes Tropiques il y a un milliard d’années. Ma grand-mère lisait « Terre humaine » et me l’a fait lire. Je n’ai donc pas du tout l’impression de changer de direction. En tant qu’ethnologue, j’ai travaillé dans le laboratoire fondé par Lévi-Strauss. Il y a une sorte de filiation qui est littéraire, parfois poétique, et surtout personnelle avec l’aventure de « Terre humaine ». Je suis plus du côté des gens qui ont traversé des contrées, qui ont vu des mondes et qui essaient de les faire vivre, que du côté du monde universitaire avec ce qu’il peut avoir d’asphyxiant.

Le style fait l’âme de « Terre humaine »

Qu’est-ce qui doit caractériser un livre de la collection « Terre Humaine » ?

S.B. : La recette est simple, ce sont des livres racontés à la première personne. Quelqu’un regarde le monde et parle en son nom propre. Tout à coup des ethnologues, des géographes, des gens qui explorent le monde ont parlé de celui qu’ils avaient en face d’eux à la première personne. En 1955, l’ethnologie est naissante, confidentielle et ennuyeuse. Malaurie s’est dit, on va donner ça au grand public. Aujourd’hui on peut voir le monde à la télé, donc les récits doivent être aussi écrits par les témoins de l’intérieur.  Des Amazoniens, des Indiens, des Chinois, des Russes qui voient les choses d’un peu plus près et peuvent les regarder d’une façon nouvelle. En revenant toujours à la question posée par Malaurie de livre en livre : qui sommes-nous ?

J-L.B. : Il faut aller vers de nouveaux territoires, je pense par exemple à la question des banlieues, à celle des territoires agricoles et des territoires ouvriers qui votent Rassemblement National. Moi j’ai envie de savoir ce qui se passe dans le nord de la France, dans ces villages désertés par les services publics. Mais aussi revenir à la question des pôles, à celle de l’Amazonie : quelle est la situation de ses zones qui évoluent du point de vue climatique, des gens qui y vivent ? Nous avons besoin de livres tournés vers des territoires nouveaux, mais aussi vers ce qui peut se passer, pas seulement vers ce qui se passe. En nous souvenant que le style fait l’âme de « Terre humaine ». Ce ne doit pas être des livres trop austères, mais des récits avec une vraie sensibilité.

Avez-vous déjà un programme à annoncer ?

J-L.B. : On annoncera le programme clairement pour le 70e anniversaire de Tristes Tropiques, au printemps prochain. Nous remettrons en scène une série de titres, afin de remettre en valeur le fonds. Pour le reste on commence, nous avons une vision très claire du type d’auteurs que nous allons solliciter, des écrivains comme Emmanuel Carrère ou Sylvain Tesson, auraient naturellement vocation à travailler pour « Terre humaine ».

S.B. : Ted Conover, qui dans Là où la terre ne vaut rien s’est immergé pendant quatre ans dans le quotidien des gens qui vivent dans des mobile homes dans le Colorado ou Svetlana Alexievitch, qui dans La fin de l’homme rouge, raconte la disparition de l’URSS dans un roman choral très russe où la subjectivité est conservée, multipliée, auraient également leurs places dans la collection. Le roman moderne a souvent une approche très documentaire. Car notre monde n’est plus du tout uniforme, mais divisé. Avec des poches peu compréhensibles qu’il faut explorer comme on explorait l’inconnu et le lointain à l’époque.

2025, année Tristes tropiques, année « Terre humaine »

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