Avec ses millions de lecteurs et ses nouveaux fidèles chaque année, le marché du webtoon et du manga numérique ne cesse de se développer. Derrière ces nouvelles pratiques de lecture se cachent des objets au marketing agressif et dont les méthodes mettent en péril la continuité de la loi sur le prix unique, notamment via l'utilisation de monnaies virtuelles (coins) pour leur achat. Afin de sécuriser les acteurs dans leurs pratiques, le médiateur du livre, Jean-Philippe Mochon, s’est saisi de la question. Jeudi 14 septembre, il a rendu un avis accompagné de recommandations, qu'il détaille pour Livres Hebdo.
Livres Hebdo : Cela fait un peu plus d’un an que vous travaillez sur le sujet. Quel constat avez-vous fait ?
Jean-Philippe Mochon : Même s’il a mis du temps à décoller et qu’il reste encore restreint en France, le marché du numérique pour le manga est le webtoon prend de l’ampleur. En France, on parle aujourd’hui de millions de lecteurs et au Japon, il occupe déjà 60 à 70% de chiffres d’affaires.
Quelle différence y a-t-il avec les livres papier ?
Aujourd’hui, il y a plusieurs modèles d’achat pour les mangas numériques et les webtoons : l’abonnement, l’achat à l’acte et, le plus populaire, le système de “coins”. Ce système est une monnaie virtuelle mise en place par des plateformes de vente comme Piccoma ou Ono qui permet à l’acheteur de ne pas payer “directement” avec son argent. Évidemment, on comprend bien l'intérêt marketing qu’il y a pour ça. Ça rend l’achat indolore et ça permet aux plateformes de vente d’avoir des stratégies assez sophistiquées avec des possibilités de coins gratuits. Cet argent virtuel est au cœur du modèle économique du webtoon et du manga numérique.
Dans l’avis que vous avez publié jeudi 14 septembre, vous expliquez que ce système peut poser problème au regard de la loi sur le prix unique du livre…
Effectivement, ce système de jetons numérique ne permet pas à l’éditeur de déterminer lui-même le prix du livre puisque les plateformes peuvent le moduler en jouant avec les jetons gratuits. Les prix sont ainsi brouillés ce qui pose deux problèmes au regard de la loi sur le prix unique : les plateformes, donc les canaux de diffusion, ne sont plus au même niveau de concurrence et la garantie de transparence sur les prix pour le lecteur n’est plus appliquée.
La loi sur le prix unique du livre le dit : “est un livre ce qui est imprimé ou ce qui peut l’être sans effort apporté à l’adaptation”. Quid, dans ce cas, d'un webtoon ?
C’est vrai, mais ma conviction est que cela va être difficile de dire à terme que les webtoons ne sont pas des livres. On parle ici d’un sujet qui touche tout de même beaucoup de lecteurs ! La loi sur le prix unique du livre est notre boussole. Et d’une certaine façon, cet avis est aussi une façon de questionner sa pertinence. Est ce que cette loi traduit les objectifs auxquels on est confronté aujourd’hui ?
Quelles conséquences ce système peut avoir sur le secteur ?
Il y a un enjeu évident pour l’avenir de la création et de la présence des acteurs français sur le secteur. En France, les Japonais vendent leurs droits papiers et leurs droits numériques aux éditeurs français ce qui permet à des acteurs comme Hachette et Editis de céder les droits numériques aux plateformes qui sont elles souvent coréennes. Mais après tout, pourquoi les Japonais ne trouveraient pas plus avantageux de vendre leurs droits directement aux plateformes coréennes ou de lancer leur propre plateforme ?
Comment contrer cette éventuelle situation de monopole ?
Il faut s’assurer qu’une plateforme ne puisse pas subventionner comme bon lui semble sa base de lecteurs et appliquer des pratiques commerciales qui lui permettraient d’évincer tout autre acteur du marché.
Quelles recommandations proposez-vous pour éviter une telle situation ?
Il s’agit de propositions pour que ces jetons numériques, ces coins, soient pleinement compatibles avec la loi sur le prix unique. Il faut qu’il y ait dans la loi, entre les mains des éditeurs, des textes assez précis sur la distribution gratuite de coins : il y a un prix unique qui est fixé par l’éditeur, il faut donc que ce prix fixé encadre la distribution de jetons gratuits. Évidemment, si l’éditeur est prêt à ce que des contenus entiers soient gratuits, ça relève de sa prérogative mais en revanche, ça ne peut pas être le fait de la stratégie commerciale de la plateforme.