Voyage en terre inconnue. L'œuvre de Jérémy Perrodeau s'affirme d'album en album. Après Crépuscule en 2017 et Le long des ruines en 2021 (tous deux aux éditions 2024), Le visage de Pavil continue de creuser un sillon où les genres − science-fiction et aventures − s'enchevêtrent sous un trait clair et précis. Cette fois, le terrain de jeu n'est plus une planète étrange ou l'inconscient humain, mais un espace imaginaire plus restreint et tout aussi mystérieux : le village de Lapyoza, dans un petit archipel perdu et autonome. C'est là que s'écrase l'avion de Pavil, le jeune scribe d'un empire dont on ne saura jamais rien. Le bateau navette pouvant le ramener chez lui ne passant que plusieurs semaines plus tard, le jeune homme est contraint d'attendre à Lapyoza. Surmontant leur réticence, les villageois l'accueillent à condition qu'il participe à la vie de la communauté. Pavil devra juste se tenir en dehors de tout ce qui a trait au sacré et notamment à Hodä, dieu qui vivrait sur une petite île au large de Lapyoza. Pas question donc pour l'hôte de toucher aux curieux masques flottant sur l'eau... Mais Pavil fouine, pose beaucoup de questions, prend des notes... Sa présence sur l'île est-elle réellement si fortuite ?

Ruines, fouilles, exploration... Jérémy Perrodeau change d'univers mais conserve ses sujets de prédilection, et son intrigue est le prétexte à une quête spirituelle à travers les us et coutumes d'une civilisation énigmatique. En même temps que Pavil, on découvre tout un peuple, de ses mythes fondateurs aux détails de la vie sociale − la contribution de Pavil aux tâches du village permet à l'auteur de dépeindre avec minutie le mode de vie des lapyozis, comme la réalisation de plats typiques, les rites funéraires... Et au fil du parcours du héros, ce sont des thématiques comme l'altérité, la trahison, la responsabilité, l'exil et le choix que Jérémy Perrodeau aborde en douceur.

Graphiquement, l'auteur varie ses mises en pages, passant d'un gaufrier pour raconter, sous forme d'un poème épique, l'histoire mythologique du lieu, à de magnifiques pages muettes, riches en détails organiques et architecturaux, pour dépeindre l'exploration des fonds sous-marins. Son utilisation judicieuse des couleurs, lumineuses, définit parfaitement les différentes ambiances - inquiétantes quand Pavil tente de s'approcher du sacré, calmes quand il parcourt les rues du village sur pilotis, avec ses passerelles et ses escaliers à la Escher. Avec Le visage de Pavil, Jérémy Perrodeau confirme qu'il est un créateur hors pair, d'univers comme de bandes dessinées.