La légende du joueur de polo. D'abord un nom. Le sien ne lui convient guère. Ralph Lifshitz, ce n'est guère porté chez les heureux du monde. Dans ces années 1950 qui s'offrent à son adolescence, ce petit Juif, gamin du Bronx, rêve d'autre chose que de carpe farcie et d'horizons bornés. Comme dans ce film, Sabrina, qu'il aime tant, il voudrait être Audrey Hepburn, avoir au moins quelque chose de sa grâce, de son élégance, de son indifférence aux plafonds de verre. Alors Ralph devient Lauren, c'est un bon début. Pour le reste, quelque chose de l'ordre du génie va venir s'en mêler. Le génie, chez cet homme qui ne saura pourtant jamais ni dessiner ni coudre, de pressentir avant tout le monde combien son pays (et après lui, la planète entière), combien les riches et ceux qui aspirent à le devenir, se reconnaissent d'abord par leur tenue, considérée comme une sorte de profession de foi identitaire. Cela a tenu d'abord à l'épaisseur d'une cravate lorsque le jeune Ralph Lauren, simple vendeur chez le célèbre tailleur Brooks Brothers, imagina de vendre sous son nom des cravates plus larges et plus colorées que celles alors proposées. Succès immédiat, naissance d'une marque, « Polo by Ralph Lauren » (le polo, c'est chic...) . La suite est l'une des plus belles aventures industrielles de ce temps et propulse son initiateur parmi les hommes les plus riches du monde. Porter du Ralph Lauren, c'est tour à tour se sentir dans la peau de Jay Gatsby, d'un lord anglais, d'un cowboy du Montana ou dans celle d'un membre du cercle des Kennedy... Être différent jusque dans ce à quoi on choisit d'appartenir.
C'est cette folle aventure d'un homme qui fit de ses rêves une entreprise globale que nous narre le spécialiste de la culture américaine et de l'histoire de la mode Jérôme Kagan dans Ralph Lauren, un rêve d'Amérique. Kagan est déjà l'auteur de deux ouvrages très aboutis Eugene McCown, démon des années folles et Condé Nast, la fabrique du chic (Séguier, 2019 et 2022). Pour être une figure non moins marquante de la mythologie américaine, Ralph Lauren est plus documenté déjà. Aussi l'auteur l'aborde-t-il avec une rigueur plus grande que jamais. Il a tout lu jusqu'aux comptes d'exploitation, tout regardé (notamment les publicités, qui fondent l'imaginaire de la marque siglée d'un joueur de polo), tout analysé. Rien ne lui échappe. Beau travail.
Ralph Lauren, un rêve d'Amérique
Séguier
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 19 € ; 192 p.
ISBN: 9782840499411