Ils sont quatre, et ils se réjouissent des visées du ministre de l’Education nationale. Pour D2L, Bibliothèque pour l’école (BPE), Lire demain et Ludic, les principaux acteurs de la vente directe de livres jeunesse aux écoles, la volonté de Jean-Michel Blanquer de "réussir pour tous l’apprentissage de la lecture à l’école", de "transmettre le goût de la lecture" et de "susciter le plaisir du texte" va forcément dans le bon sens. Mais, prudents, ils attendent de voir les moyens alloués au Plan lecture lancé officiellement le 12 octobre par la campagne "Ensemble pour un pays de lecteurs", sur lesquels le ministère reste, pour le moment, particulièrement flou.
Budgets variables
Une telle bouffée d’air serait pourtant bienvenue sur ce marché réputé stable mais qui, depuis quelques années, s’oriente à la baisse. Difficile, l’année 2016-2017 a suscité une certaine "inquiétude" chez les quatre opérateurs. "Ce n’est pas une vue de l’esprit, il y a moins de budget pour le livre dans les écoles qu’il y a dix ans", pointe Jean-Noël Mengelle, directeur des ventes chez BPE, une structure créée en 1999 au sein du groupe Hugo & Cie. "Les collectivités ont moins d’argent et, en plus, le déplacent sur d’autres activités que la lecture, comme les activités périscolaires", confirme Laurence Douay-Lelouvier, directrice des achats pour Lire demain, filiale du groupe Auzou.
La situation est d’autant plus délicate que Ludic, BPE, Lire demain et D2L, qui vendent directement aux écoles une sélection d’albums, de documentaires et de romans jeunesse au format parfois remanié pour faire baisser les prix, ferraillent sur un marché fortement concurrentiel dont le volant d’affaires reste, de l’avis de tous, difficile à appréhender. En fonction des années, les budgets des écoles varient sensiblement. En outre, ils ne sont pas ventilés par catégories mais globalisés pour le fonctionnement des écoles - il n’y existe donc pas de budget livre - et restent touchés par le moindre achat. Un facteur auquel s’ajoute la présence d’une "infinité de structures plus ou moins spécialisées, soit dans le pédagogique, soit dans le matériel éducatif ou les fournitures, et qui vendent malgré tout un peu de livres", relève Jean-Noël Mengelle, ce qui réduit le champ d’action de ce circuit parallèle de diffusion du livre jeunesse qui doit aussi compter avec les libraires.
Pour se singulariser et tirer leur épingle du jeu, les quatre sociétés ajoutent d’autres cordes à leur arc. Ludic, comme BPE, propose de longue date des produits pédagogiques qui, couplés à un roman, "créent une synergie autour d’un titre", explique Philippe Perrot, dirigeant de Ludic. BPE a aussi intégré la bande dessinée, un segment qui devance désormais, dans le trio de tête des ventes, les albums et les documentaires. Chez Lire demain, Laurence Douay-Lelouvier cherche "de nouveaux types de clientèle", sans vouloir en dire plus pour le moment. Elle s’appuie sur des sélections thématiques qui marient des thèmes traditionnels (nature, animaux, cirque…) à des sujets plus dans l’air du temps, comme les émotions. "C’est important de réaliser ce travail de qualité", souligne Laurence Douay-Lelouvier, qui, comme ses confrères, joue avant tout la carte du conseil et de la proximité.
Complémentaire des librairies
Chaque structure dispose d’une équipe de représentants, entre 15 et 40 pour les plus gros, qui sillonnent les départements, visitent les établissements, des maternelles aux lycées, et s’efforcent de rencontrer directement les enseignants, même pour un petit quart d’heure. "Le contact est important, d’autant qu’ils ont de moins en moins le temps de découvrir la richesse et la variété de la production, souligne David Eustache, arrivé sur le marché il y a deux ans avec D2L. Ils apprécient donc que nous leur débroussaillions le terrain et que nous leur offrions la possibilité de voir et de toucher les livres."
Ce service est plus "complémentaire" que concurrent des libraires, "qui n’ont pas forcément le temps de faire ce travail de fourmi", plaide l’ensemble des acteurs. Il permet en outre d’assurer la visibilité des petits et des jeunes éditeurs. "En dehors des maisons traditionnelles telles que Bayard, Milan ou L’Ecole des loisirs, le panorama de l’édition française de jeunesse est souvent méconnu du corps professoral, estime Laurence Douay-Lelouvier. Et les fonds des bibliothèques scolaires sont malheureusement souvent anciens, notamment dans les milieux ruraux, où la première librairie se trouve à des dizaines de kilomètres de l’école."
Vendre aux enfants
Un enjeu que Gauthier Auzou, fondateur en 2010 de Lire demain, a bien perçu. La diffusion, par ce canal, des créations d’Auzou auprès des enseignants a sans doute contribué au succès du Loup, personnage phare de l’éditeur jeunesse devenu en quelques années la coqueluche des bambins, qui, en librairie, réclament ses albums. Habile, la stratégie s’inspire d’un célèbre système.
Depuis trente-six ans, en effet, L’Ecole des loisirs utilise le vecteur de l’école pour vendre non pas aux enseignants mais directement aux enfants et aux parents, un abonnement annuel proposant 8 livres pour 8 tranches d’âge. Accompagnée de fiches pédagogiques consultables sur le site de l’éditeur, la formule, chargée de mettre "à la portée de tous les enfants des ouvrages de qualité à des prix abordables", indique Louis Delas, directeur général de L’Ecole des loisirs, constitue une manne très protégée : outre les gains économiques, elle a contribué à installer la maison dans le cœur des enfants et des enseignants, et à asseoir son image d’éditeur de l’Education nationale.