Le retentissement mondial qu'a connu l'annonce du décès de Joan Didion le 23 décembre dernier des suites de la maladie de Parkinson fut à la mesure de l'ampleur de l'œuvre de cette journaliste et écrivaine qui, mieux que quiconque peut-être, sut à travers ses romans et ses récits (au premier rang desquels bien sûr, L'année de la pensée magique, Grasset, 2007) dire un état des choses de l'Amérique des années 1960 à nos jours. Avec elle, le pays a perdu sa plus impitoyable scrutatrice en même temps que sa pythie, et nombre d'auteurs, Bret Easton Ellis en tête, un modèle à la fois moral, littéraire et finalement, politique.
Voici donc comme venu d'outre-tombe (mais tous ces derniers livres ne l'étaient-ils déjà pas un peu ?) un recueil de textes écrits entre 1968 et 2000, justement intitulé Pour tout vous dire, qui, à sa manière discrète et incisive, est quelque chose comme un art d'écrire et de vivre à la fois. Les éditions Grasset ont eu la lumineuse idée de demander à la néoacadémicienne Chantal Thomas de préfacer l'édition française de ce recueil. Celle-ci y évoque, avec sa justesse coutumière, « la force indestructible dans sa fragilité même » de Didion. On ne saurait mieux dire et chacun des articles qui composent le livre en porte témoignage. Ce qui relie ces textes et en fait comme autant de chapitres d'une même obsession, ce qui a toujours au fond habité Didion : l'écriture, l'Amérique et aussi l'impossible deuil de l'une et de l'autre comme autant de personnes aimées. Lorsqu'elle évoque ses années de jeune journaliste, ou plus exactement de rédactrice pour Vogue, ce n'est pas la vacuité de son travail qu'elle rappelle, mais comment celui-ci lui permit d'être sur la page blanche elle-même : rapide, sèche, précise et juste. Lorsqu'elle parle d'Hemingway, dont elle admire ces mêmes qualités, c'est pour son combat perdu d'avance contre l'édition posthume d'œuvres dont il n'aura pu assurer la pleine paternité avant son suicide.
Son pays pour elle, de la côte ouest à la côte est, est comme une continuité baroque et d'un sublime mauvais goût, des ruines du Xanadu de William Hearst au succès fracassant de la cuisinière et décoratrice d'intérieur Martha Stewart, icône fallacieuse de ce forever America. Les pages les plus belles étant tout de même celles consacrées à son ami Tony Richardson, sorte de dandy et cinéaste. Elle nous laisse donc avec cette leçon de regrets. Beau travail.
Pour tout vous dire Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty
Grasset
Tirage: 4 200 ex.
Prix: 17 € ; 220 p.
ISBN: 9782246829676