Julien Delmaire semble avoir du mal, par moments, à se rappeler tout ce qu’il fait, les différents vecteurs qui lui permettent de canaliser son énergie créatrice : poésie, slam, roman, littérature jeunesse, cinéma, musique… Toutes ces portes qui s’ouvrent à lui, depuis 2002, quand, sur la scène lilloise "en pleine éclosion", il a vu pour la première fois des poètes en live lire leurs textes. Une sorte de révélation, de Pentecôte, à quoi l’avait préparé son enfance, assez particulière : "Mon père était prof d’hébreu, fan de littérature caribéenne, Césaire surtout. A 14 ans, j’ai découvert en même temps NTM et Baudelaire."
Une passion pour le Verbe, la poésie, qui ne l’a jamais quitté et qu’il a décidé de partager très tôt. Notamment avec les ateliers d’écriture qu’il anime depuis 2005, dans des prisons, des hôpitaux psychiatriques, des lycées, ou auprès des migrants. "La poésie, dit-il, permet de mettre des mots sur des souffrances, et de toucher ceux, même, qui ne lisent pas." A 40 ans, même si, avec ses dreadlocks et son look rasta, il ne "fait" pas son âge, Julien Delmaire est tourné vers la transmission. Il vient, pour son fils Antonin, 8 ans, d’inventer la série des Aventures inter-sidérantes de l’ourson Biloute, avec, au dessin, son cousin Reno, tatoueur et bassiste dans un groupe de rock. Les deux premiers épisodes, La baraque à frites de l’espace et Les mutants de la mine noire, ont paru chez Grasset, l’éditeur de ses romans depuis 2013.
Option scénario
Alors qu’il n’avait publié jusque-là que des recueils de poésie par définition confidentiels, Delmaire, qui ne connaissait personne à Paris, expédie par la poste à l’éditeur de la rue des Saints-Pères le manuscrit de Georgia, sur lequel il avait travaillé quatre ans, "en écoutant Ray Charles". Pour rejoindre Virginie Despentes et Dany Laferrière, qu’il admirait. Le texte est accepté illico, et remarqué à sa parution, en septembre 2013. Trois ans après, paraît Frère des astres, "comme un road-book en hommage à Kerouac", différent et proche à la fois. Tout comme ce Minuit, Montmartre qui paraît à la rentrée.
L’histoire vraie, qui débute en 1911 sur la Butte dont s’amorçait le déclin, d’une mystérieuse jeune fille noire, Masseïda, modèle puis femme de confiance et héritière de l’artiste Alexandre Steinlen, célèbre, entre autres, pour avoir dessiné l’affiche du fameux cabaret Le Chat noir. D’où une galerie de personnages dans ces marges qui fascinent Delmaire, et dont il parle d’une façon très visuelle. Rien d’étonnant à cela : notre ami a étudié le cinéma (option scénario) à l’université Lille-3 (ainsi que l’histoire de l’art), et il est en train d’adapter lui-même son roman pour l’écran. "Ça avance. Je verrais bien Pierre Richard dans le rôle de Steinlen. J’ai d’ailleurs pensé à lui en écrivant le livre." Tout se connecte. Avec un point commun, "le blues" : "Je gratte un peu de la guitare. J’aimerais bien enregistrer un disque de chansons.""De la musique avant toute chose", disait un certain Verlaine, slameur du XIXe siècle.
Jean-Claude Perrier
Minuit, Montmartre de Julien Delmaire, Grasset. 18 euros, 224 p. Sortie : 23 août. ISBN : 978-2-246-81315-6