Jean-Philippe Rossignol, 35 ans, est voué à la littérature : éditeur, critique littéraire, président de la compagnie de théâtre luxembourgeoise Ghislain Roussel, il a obtenu l’année dernière la bourse Cioran pour un projet d’essai sur Elio Vittorini, intellectuel italien engagé de la première moitié du XXe siècle, auteur de Conversation en Sicile. Paru en 2011 dans la collection "L’infini" chez Gallimard, Vie électrique, première fiction mobile composée de trente tableaux, était ainsi tissé de références lettrées, de fraternités littéraires. La fraternité se retrouve, littéralement cette fois, au cœur de ce deuxième roman, Juan Fortuna, dans lequel un homme piste les traces de son frère, évaporé dans la nature à 30 ans, évoque la personnalité de ce garçon né en 1979 à Buenos Aires d’un père chirurgien et d’une mère styliste, raconte sa séduisante et dangereuse étrangeté, son "attirance pour tout ce qui vacille", sa fugue dérivante. Quête, exercice de deuil et de dévotion sans effusion, le roman explore les liens entre deux frangins dissemblables, entre une mère et un fils aux relations en forme de passe d’armes tout en esquissant l’autoportrait du narrateur en protecteur aussi fidèle qu’impuissant, "nativement attaché à la santé de [son] frère". Dans le déroulé des souvenirs : Juan à 10-11 ans, déjà ailleurs, "un regard incrédule, une gestuelle que l’on ne rencontre pas chez les enfants de son âge", le genre de petit garçon doué et incontrôlable, aux obsessions cycliques, aux émotions en montagnes russes. "Juan a des passions météoriques." "Chez lui la Fureur est un continent." Juan à 17 ans, témoin d’une scène de meurtre à "l’Hipódromo" qui fait basculer son monde déjà instable. Juan à 18 ans embauché dans le service de gériatrie d’un hôpital, mouroir où il passera quatre ans. "Plus Juan sera délicat, plus la vie s’allégera. Son action ressemble à une fougère qui caresse l’avant-bras." Juan le pudique, Juan l’innocent à 20 ans, qui connaît déjà l’odeur de la mort et de ses couloirs. Plus tard, Juan fasciné par Anthony Perkins/Norman Bates dans Psychose d’Hitchcock. Juan, proie vulnérable de son escroc de cousin Carlo. Juan qui finit par choisir la fuite sans laisser d’adresse.
A cet attachant et insaisissable personnage, Jean-Philippe Rossignol offre une écriture syncopée, un présent qui rend le passé éternellement contemporain, des ellipses, des phrases sans verbe, des actions à l’infinitif, des listes en forme d’inventaire avant l’oubli : "Il raffole de crème anglaise, de fraises, de bonbons au café, de sablés aux épices. Chocolat noir. Lèvres brillantes." V. R.