« Qu'est-ce que vous faites là ? », lui demande Lacan à deux occasions dont une fois où elle a débarqué dans son cabinet rue de Lille sans rendez-vous. Question déjà posée, lestée de reproches, par son père, lorsque Catherine, la narratrice, double de l'écrivaine et poète Judith Brouste, était enfant. Et qui est une véritable interrogation existentielle. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle se sauve. Elle fuit, comme l'a fait quelques années avant elle, sa cousine Françoise assassinée à Paris, morte étranglée à 22 ans dans sa chambre d'étudiante du Ve arrondissement et dont la courte vie réfléchit son propre destin. « Je me suis retrouvée dans sa rébellion, affichée avec la force des vaincues face aux hommes qui font la loi, qui sont la loi. Je me suis reconnue dans son acte, sans vouloir finir comme elle : il faut sortir du jeu sans mourir ».
Ressassant l'énigme de ce meurtre commis rue Malebranche, Catherine/Judith rouvre le dossier de sa jeunesse blessée. Elle y convoque toutes celles qu'elle a été et est restée : la petite fille réfractaire parant les coups, la provinciale sans diplôme échappée des Landes s'installant à Paris dans les années 1960, la jeune femme amoureuse qui cherchait comment se réconcilier avec le monde... Face à elle, campent des hommes dominateurs auprès desquels elle a aguerri sa « passivité combative » : le père brutal, ex-médecin colonial ; Gilles, le charismatique ancien militant d'extrême gauche et futur psychiatre rencontré en 1972 à Ibiza, avec qui elle aura une fille. Au centre, on trouve aussi la figure plus ambiguë mais non moins imposante de Lacan sur le divan duquel elle s'est allongée trois ou quatre fois par semaine pendant quatre ans avant de le quitter, lui aussi, en 1979, l'année où elle publie son premier livre, deux ans avant la mort de l'analyste. Et puis il y a l'ami, le mathématicien Pierre Soury, avec qui Lacan va travailler sur sa théorie des nœuds borroméens, le « génie malheureux » qui se suicidera.
Judith Brouste ressuscite une époque à laquelle tous sont intimement reliés, ses communautés d'intellectuels et d'artistes, leurs cafés, leurs musiques et les idéaux de ces « temps anciens » disparus mais jamais oubliés. « Ce qu'on a perdu ou manqué reste fixé. Chaque geste, chaque pensée, chaque moment en garde la marque. Le présent n'efface rien. Sans plainte ni gémissement, un imperceptible chagrin accompagne les jours, silencieusement. »
Un meurtre a été commis rue Malebranche
Exils
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 15 € ; 125 p.
ISBN: 9782914823203