Comment transforme-t-on un innocent en coupable et en paria, un homme libre en détenu puis en exilé ? C'est ce que montre avec une parfaite maîtrise narrative et graphique le récit édifiant que Mana Neyestani a tiré de sa propre expérience du système policier et judiciaire iranien. Un parcours aussi kafkaïen que le suggère son titre, à double sens.
Illustrateur de presse replié sur la presse enfantine après la mise au pas des journaux réformateurs, Mana Neyestani a eu le malheur de faire prononcer par un cafard le terme "namana" dans l'un de ses dessins en 2006. Ce terme est couramment utilisé en farsi lorsqu'on ne trouve pas ses mots, mais il a également un sens en azéri. Il n'en faut pas plus au pouvoir iranien pour rendre le dessinateur et son rédacteur en chef responsables de multiples émeutes et soulèvements de cette communauté minoritaire en Iran, qui se serait sentie insultée par le dessin.
Tous deux sont arrêtés et emprisonnés sans la moindre base légale. Au fil des interrogatoires et des transferts d'un lieu de détention à un autre, un engrenage implacable se met en place. La mécanique infernale de l'arbitraire se substitue toujours plus au simple bon sens. Dénuée de toute justification, l'incarcération devient un moyen de pression individuel en même temps qu'une occasion pour les services secrets de soutirer des informations sur les milieux réformateurs.
Mana Neyestani se met en scène sans fard, avec son courage et sa ténacité comme avec ses petites lâchetés. Le dessinateur, aujourd'hui en résidence artistique à Paris, décrit la vie et les pensionnaires de la tristement célèbre prison d'Evin puis, lorsqu'il sera contraint à l'exil, de Dubai à la Turquie et à la Malaisie, les affres des réfugiés. Et il parvient à faire scintiller sur son chemin toutes les parcelles d'humanité qui résistent tant bien que mal à la broyeuse totalitaire.