Le 26 juillet 2017, Christian Bobin est allé passer une nuit, chambre 14 de l'hôtel Sainte Foy, à Conques, face à l'abbatiale du XIe siècle qui fait la renommée mondiale du petit village de l'Aveyron, haut lieu de pèlerinage sur le chemin de Compostelle. En soi, l'événement pourrait paraître anecdotique. Si ce n'est que Bobin, agoraphobe depuis toujours, et qui se perçoit un peu comme un autiste, ne voyage guère, répugnant à quitter sa maison dans les bois, proche de son Creusot natal. Que, depuis 1995, l'abbatiale a été ornée de vitraux géométriques et clairs par Pierre Soulages, l'un des artistes qu'il admire et qu'il a rencontré. Et que Bobin « essaie de traverser ce monde en poète ».
Cette Nuit du cœur ne pouvait que donner un livre dépouillé, austère et gai comme l'art roman, recueil de 104 chapitres assez brefs, autant que de vitraux, qu'il appelle des « anges ». Il y est question de tout, du « silence qui est le seul vrai dieu », de la lumière de Conques, « blonde », de souvenirs d'une enfance en Bresse qu'il n'a pas aimée, de sa mère, Germaine, morte en 2013, sans qu'il l'ait « jamais rencontrée » vraiment, tandis que la relation avec son père, René, disparu lui aussi récemment, a été bien plus intense, intime. Ce père qui a toujours cru en son fils et a salué très tôt, chez lui, son don de poète. Apparaît également, au détour d'une page, Ghislaine, l'amie d'élection, décédée, à qui le Très-Bas était dédié, et à qui il s'adresse, tout comme à l'abbatiale, à la deuxième personne. Comme si les deux se confondaient. Et puis il y a ces aphorismes superbes sur le travail de l'écriture : « Tout ce que je touche se change en encre », ou « Ce livre est un combat entre moi et moi », défi dont King Conques sort bien entendu victorieux. Et enfin, presque à chaque page, il est fait mention de dieu, « la grande question », même si Bobin prétend qu'il n'y « pense jamais ».
On peut lire ce livre tout seul, bien sûr, avec ravissement. Mais on peut aussi, comme pour s'y préparer, commencer par l'essai bio-bibliographique illustré de Dominique Pagnier, bobinologue éminent, qui, avec sa complicité active, retrace le parcours terrestre de son sujet, son œuvre depuis son premier livre, Lettre pourpre, paru chez Brandes en 1977, ou encore salue tous ces écrivains phares, qu'il lit et relit sans cesse, de Rimbaud à Jünger, en passant par Borges, Michaux, Cioran ou son ami Jean Grosjean.
C'est éclairant, et enluminé de pages manuscrites par Bobin, qui ne s'est jamais mis à l'ordinateur.
La nuit du coeur
Gallimard
Tirage: 0
Prix: 18 EUR
ISBN: 9782072742187
L'arrière-pays de Christian Bobin : les êtres, les lieux, les livres qui l'inspirent
l'Iconoclaste
Tirage: 0
Prix: 22.9 EUR
ISBN: 9782378800314