La New Delhi World Book Fair, l’une des plus importantes du monde avec son million de visiteurs, s’est tenue du 25 février au 5 mars, à Pragati Maidan, une espèce de vaste Parc des expositions dont les abords sont encore en chantier.
Après bien des reports dus à la pandémie de Covid, la France y était cette fois effectivement l’invitée d’honneur. La réciproque à une invitation croisée lancée en 2018 lors de la visite d’État du Président Macron en Inde, avec le Premier ministre Narendra Modi. L’Inde a en effet été, avec succès, l’invitée d’honneur du premier Festival du Livre de Paris l’année dernière, au Grand Palais Ephémère.
Notre prix Nobel 2022 a enchaîné les rencontres
Le pavillon français, organisé par le BIEF, y a été très apprécié, avec son café tenu par la maison Opéra, ses battles de musique et de BD, sa librairie gérée par la chaîne Oxford Books Store, et ses nombreux ouvrages, hélas majoritairement en anglais. A l’exception d’un échantillon en folio de l’oeuvre d’Annie Ernaux, la prix Nobel étant le porte-drapeau de notre délégation : une quinzaine d’auteurs, dont Camille Laurens, de l’Académie Goncourt, venue également pour parrainer la remise du deuxième Goncourt des Etudiants / Le choix de l’Inde (lauréate : Brigitte Giraud), François-Henri Désérable, Olivia Ruiz, Zeina Abirached, Laura Nsafou ou Susie Morgenstern, invités par l'Institut français (IF India). Extrêmement généreuse dans ses interventions, heureuse d’être là, découvrant l’Inde pour la première fois, notre prix Nobel 2022 a enchaîné les rencontres, les conférences, notamment le lundi 26 février, au Shri Ram Centre for Performing Arts, où elle a fait un tabac devant une salle comble et fervente. La presse indienne en a d’ailleurs largement rendu compte. Ainsi, dès le 27, la photo d’Annie Ernaux figurait en appel de « une » de The Times of India, l’un des plus importants quotidiens anglophones du pays, traitée comme un joueur de cricket, ce qui n’est pas, en Inde, une mince consécration.
Favoriser l’émergence des jeunes écrivains
Lors de l’inauguration de cette 50e édition de la NDWBF, le colonel Yuvraj Malik, directeur du National Book Trust, notre partenaire, l’organisme d’État dépendant du ministère de l’Éducation qui gère la politique du livre dans le pays, a salué l’événement, rappelant l’invitation croisée, et l’intégrant dans la politique du gouvernement indien en faveur de la culture, de l’éducation et de la lecture. De son côté, Rajeev Ranjan Singh, Secrétaire d’ État à l’Éducation, a mis l’accent sur le programme Yuva (Young, Upcoming and Versatile Authors) porté par le premier ministre Modi en personne. Il s’agit, dans le vaste cadre de la célébration de l’anniversaire des 75 ans de l’indépendance du pays, de favoriser l’émergence de jeunes écrivains de moins de 30 ans, en leur accordant des bourses de création. Un peu à la manière de ce que fait notre CNL, les intentions politiques en plus.
L'Inde s'ouvre sur le monde... sans renier ses fondamentaux
Car l’Inde, fière d’assurer cette année la présidence du G 20 , dont elle accueillera le sommet des chefs d’État à New Delhi début septembre prochain, ne cache plus ses ambitions de jouer un rôle de plus en plus important sur la scène internationale. Une ouverture sur le monde, sans renier ses fondamentaux, réaffirmés sans cesse par le premier ministre nationaliste-hindouiste BJP au pouvoir depuis 2014, et ses partisans, qui le surnomment « Magic Modi » : patriotisme, religion, musique traditionnelle, yoga, médecine ayurvédique, gastronomie, artisanat… Ce qui fait naturellement grincer les dents de l’opposition, et des générations actuelles du milieu intellectuel.
La zone safran des éditeurs religieux
De tout ceci, la Foire constituait la parfaite vitrine. En sortant du pavillon français, situé dans la zone internationale, on tombait, juste en face, sur le stand russe (un hasard, sans doute), très animé. Le Teda turc était également proche, ainsi que des stands d’Oman, Sharjah ou Abu Dhabi, où se tiennent chaque année d’importants salons du livre auxquels le NBT participe. Ensuite, venait la zone des livres éducatifs, qui représentent la majeure partie de la production éditoriale, et un enjeu prioritaire dans ce pays de près d’1 milliard 500 millions d’habitants. Ensuite on entrait dans une vaste zone safran, celle des éditeurs religieux. Des brahmanes en costume traditionnel proposaient au visiteur d’entrer découvrir les épopées sacrées de l’hindouisme (Râmâyana, Bhagavad-Gîtâ…) dans toutes sortes d’éditions, et en langues nationales, majoritairement le hindi, la langue officielle portée par le pouvoir central de New Delhi. On remarquait aussi, tout au centre de la Foire, le stand du NBT, une vaste librairie où l’on pouvait acquérir de très nombreux livres jeunesse (le NBT est également éditeur dans toutes les langues indiennes) ; et un autre, le plus vaste, mémorial dédié aux Freedom fighters, les combattants de la liberté et de l’indépendance de l’Inde, tombés sous les balles anglaises en 1947 et avant. Parmi toutes ces masses, les stands des éditeurs de littérature (Penguin, HarperCollins, Rupa etc.), quoique bien présents et fréquentés, paraissaient un peu disséminés.
Seule une quarantaine de titres français est publiée en Inde
Lors de l’inauguration, Annie Ernaux a délivré un court message à la fois reconnaissant et engagé. Elle a notamment cité Francis de Croisset et son Nous avons fait un beau voyage. Mais aussi André Malraux, grand amoureux de l’Inde, et la célèbre Arundathi Roy, virulente militante anti-Modi. Notre Ambassadeur, Emmanuel Lenain, a fait l’éloge de la formidable diversité, du plurilinguisme de l’Inde, et de ce que nous avons en commun avec elle, de cette relation bilatérale ancienne en voie de renforcement manifeste depuis quelques années. Pour sa part, Vincent Montagne, Président du SNE (Syndicat National de l’Edition) a rappelé l’exception culturelle française, avec un marché du livre qui produit 70 000 nouveautés par an, dans un pays de moins de 70 millions d’habitants, maillé par un réseau de 20 000 librairies. Il a invité les éditeurs français à collaborer plus étroitement avec leurs collègues indiens : actuellement, seule une quarantaine de titres français est publiée en Inde, essentiellement en anglais. Il faudrait accentuer l’effort du côté des langues nationales (hindi, tamoul, bangla, malayalam, marathi…), qui sont parlées et lues par des centaines de millions d’habitants.
Nul doute que, dans le cadre de ce « soft power » qui lui est cher, cette coopération littéraire entre la France et l’Inde sera évoquée par le Président de la République lors de la deuxième visite qu’il doit effectuer en Inde en septembre, à l’occasion du G 20.