"Elle a légué à l'humanité d'horribles chefs-d'oeuvre" - ses documentaires à la gloire de l'esthétique nazie, dont Triomphe de la volonté, en 1935, tourné malgré Goebbels, ou encore Olympiad, sur les JO de Berlin de 1936, qui ne sortira que deux ans plus tard et connaîtra un triomphe international -, "mais aussi de somptueux hymnes à la beauté de ce monde (je pense aux photographies des Noubas, à son documentaire Impressions sous-marines)". Ainsi, à la fin de son roman, Lilian Auzas résume-t-il la trajectoire créative de la très controversée Leni Riefenstahl (1902-2003). Ces phrases montrent aussi toute l'honnêteté intellectuelle avec laquelle le jeune écrivain a mené à bien son singulier projet. Car enfin, pourquoi un Français de 30 ans s'intéresse-t-il aujourd'hui à la grande prêtresse des grands-messes du Reich, à la star ambitieuse et insupportable des années sombres, à cette femme qui "adulait Hitler" ?
Lilian Auzas, entremêlant à son histoire quelques épisodes personnels, s'en explique : il a découvert l'artiste en 1996 - il avait 14 ans - grâce à un documentaire diffusé sur Arte. Puis il l'a retrouvée dans son manuel d'histoire de terminale. La fascination ne l'a plus quitté, mais sans aucune complaisance, on l'a vu, ni nostalgie nauséabonde. Il a donc décidé de mettre en roman la vie de Leni depuis 1918, quand elle voulait être danseuse, au grand dam d'Alfred Riefenstahl, son très bourgeois et très respectable père. Première carrière à succès, mais à quoi elle devra renoncer en 1923, à la suite d'un accident. Puis, avant de se faire cinéaste, elle sera comédienne, enchaînant les Bergfilms, des navets montagnards produits par la UFA, les studios officiels de Berlin. Elle rencontre ainsi Marlene Dietrich (qu'elle déteste), Pabst, von Sternberg, ou encore des dignitaires du Reich comme Albert Speer, ou le monstrueux Streicher. Elle-même ne sera jamais nazie, jamais encartée, revendiquant toute sa liberté (sexuelle notamment), ses frasques, ses provocations. Elle ne cessera pas de fréquenter ses amis juifs, fera même passer l'un d'eux aux Etats-Unis, bravant Goebbels et les autres, dont elle était la bête noire. Ne dit-on pas qu'elle avait un quart de sang juif, et qu'Hitler en personne serait intervenu pour que son arbre généalogique soit "purifié" ?
Hitler, c'était son idole, son maître, à qui elle restera toujours fidèle. Elle n'a jamais renié cette passion absurde et monstrueuse. Après la guerre, arrêtée, jugée, Leni Riefenstahl sera ensuite relâchée, considérée comme une simple "suiveuse". Sa carrière, en revanche, était terminée, même si son oeuvre photographique à venir - dont l'exaltation de la beauté parfaite des corps nus des Noubas du Soudan - n'est pas négligeable et a été saluée par Coppola, Warhol ou Mick Jagger ! C'est en lisant Hemingway que Riefenstahl avait décidé de se refaire une virginité en Afrique. Mais, si l'on suit Auzas, elle est "morte en 1945".
Ce premier roman très personnel et hors des sentiers battus est maîtrisé, brillamment mené et écrit, sans concession pour l'héroïne. Lilian Auzas possède toutes les qualités pour faire un bel écrivain.