A force de se raconter des histoires, on finit par les vivre. Au point d’en mourir. C’est le sens de cet essai philosophique destiné à nous faire mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Le sujet est essentiel - la réalité - et l’auteur né en 1933, spécialiste de Descartes, ancien professeur à la Sorbonne, auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont Métamorphoses de l’amour (Grasset, 2011), se distingue par la clarté de son discours sans chichi ni bla-bla. Nicolas Grimaldi rappelle d’emblée qu’on ne change pas la réalité, même en créant des fictions. Le divertissement est indispensable, mais il devient dangereux lorsqu’on finit par croire en cette fiction tout en sachant qu’elle n’est pourtant pas la réalité. C’est ainsi qu’on devient somnambule et non pas rêveur. Le rêveur ne s’oppose pas à la réalité. Il s’en échappe. Le somnambule se complaît à confondre les deux.
Evidemment Nicolas Grimaldi en vient à traiter des idéologies, du militantisme et bien sûr du terrorisme. Il aborde ainsi l’attentat contre Charlie Hebdo et la notion de croyance avec ce paradoxe : "On feint d’y savoir ce qu’on ignore tout en feignant d’ignorer ce qu’on sait." Que devient alors dans ce contexte l’idée de blasphème ?
Avec une belle énergie, le moraliste invite à réfléchir sur l’aveuglement et la difficile question de la réalité. Car si la réalité est que Dieu n’existe pas, il faut tout de même faire avec la réalité des religions, des fidèles et des fanatiques. De même, plus légèrement, dans l’art contemporain, il s’interroge sur notre capacité à se persuader d’aimer des œuvres qu’on sait pertinemment détester. En somme, Nicolas Grimaldi tente d’élucider cette capacité hallucinatoire de la conscience, une illusion le plus souvent volontaire comme la servitude. Une manière de suspendre le réel qui conduit quelquefois aux pires cauchemars. L. L.