Le marché du bien-être a beau être très encombré, il continue de prospérer. Et ce, grâce au succès, toujours spectaculaire, des coloriages pour adultes. A fin août, ils s’inscrivent en progression à 110 % en valeur sur les huit premiers mois de l’année, selon GfK. Malgré un tassement en août à un an d’intervalle, "les coloriages représentent 200 000 exemplaires vendus par mois tous éditeurs confondus, note Catherine Delprat, directrice éditoriale chez Larousse. C’est énorme !" Surprise supplémentaire : "Toutes les formules marchent", assure-t-elle.
Les éditeurs ne se privent donc pas et les déclinent autant que possible. Hachette Pratique, qui fut pionnier sur cette thématique, compte aujourd’hui 120 titres dans sa collection "Art therapy", avec plus de 2 millions d’exemplaires vendus, et une page Facebook dédiée rassemblant 13 000 "fans". Au printemps dernier, la maison a lancé une nouvelle collection, "Les carrés d’Art-thérapie" vendus à 5,95 euros. Un choix guidé par la concurrence. "On était quatre en 2014 sur cette thématique, contre des dizaines aujourd’hui. On s’oriente donc plus vers des livres brochés à plus petits prix", explique Anne Le Meur, responsable éditoriale chez Hachette Pratique. De leur côté, Marabout (deuxième du secteur) diversifie en publiant un album de bébé à colorier, Larousse développe des cartes cadeaux avec des messages et de bonnes résolutions, Jouvence, des contes, et First, des cartes pop-up. "Je suis sûre que ce marché va continuer à exister, affirme Elisabeth Darets, directrice de Marabout. On en a besoin. Il faut accepter qu’il retombe peu à peu à des valeurs normales, lui redonner de l’exposition en librairie, car les coloriages sont un achat d’impulsion. " Flammarion, qui s’était mis sur les rangs en 2014, compte en revanche s’arrêter là. "Il y a trop de production, et ce n’est pas notre cible", justifie sa directrice éditoriale Aurèle Cariès.
Gratitude et bienveillance
Colorier pour décompresser, mais aussi se reconnecter à soi et au monde, c’est le credo du secteur cette année. "Il y a une prise de conscience de ce qu’on fait dans le monde, où l’autre a une vraie place. La gratitude et la bienveillance sont les deux mots clés de tous les livres de bien-être ressortant du lot", analyse Dorothée Rothschild, responsable éditoriale chez J’ai Lu. Le titre pharede la maison en 2015, Se changer, changer le monde, coécrit par les quatre auteurs stars Christophe André, Jon Kabat-Zinn, Pierre Rabhi et Matthieu Ricard, s’inscrit dans cette veine. Et Jouvence donne des clés pour se reconnecter à la nature avec Méditer dans la nature.
Après les attentats de janvier, Catherine Delprat (Larousse) était convaincue que "cela allait changer (sa) ligne éditoriale". En octobre, Larousse a publié Toutes les sagesses du monde, dont l’idée est de "célébrer la fraternité et de comprendre l’autre malgré les barrières ", selon l’éditrice. Jusqu’ici rejetée car perçue comme un thème "trop mou", la gentillesse reviendra aussi sur le devant de la scène à travers un dictionnaire sur ce thème, prévu en février. Pour sa part, Odile Jacob met en avant Les pouvoirs de la tolérance, paru en mai et qui vise, à travers des exercices pratiques, à "créer plus d’harmonie dans nos relations aux autres".
La bienveillance se décline aussi dans d’autres domaines, comme l’éducation positive, en plein essor, ou encore l’écologie, avec des ouvrages comme l’emblématique Zéro déchet, de Béa Johnson (disponible chez J’ai lu depuis mars), ou la collection créée en début d’année, "Domaine du possible", chez Actes Sud. Sur la forme, les Arènes innoveront en développant les thématiques santé et bien-être par la BD dès le printemps prochain.
Les seniors, marché à conquérir
En termes de public visé, les seniors pourraient bientôt occuper une place de choix. "Ils ne lisaient pas ce genre d’ouvrage avant, mais cela a changé, assure Elsa Lafon, responsable éditoriale chez Michel Lafon. Ils cherchent aujourd’hui des conseils pour rester jeunes et dynamiques. C’est un gros marché. " Elle veut donc renforcer ce secteur, qu’elle juge "peu exploré par les autres, ou pâtissant de publications un peu défraîchies".
Au-delà de ces grandes tendances, le format, le prix et l’auteur, plus que la thématique, restent déterminants. Les formats poches et petits prix se vendent toujours aussi bien, avec J’ai Lu en tête de liste - l’éditeur représente 26 % de part de marché sur le segment du bien-être en poche, selon GfK.
L’aspect extérieur des livres est lui aussi crucial. First l’a bien compris, qui troque pour la première fois le code couleur jaune et noir de sa collection "Pour les Nuls" pour du vert amande dans ses livres consacrés à la santé au naturel et à la psychologie positive. Jouvence a également relooké ses collections. "Les titres et couvertures doivent être modernes pour bien se vendre", souligne Catherine Delprat, directrice éditoriale chez Larousse, qui reconnaît avoir "une marge de manœuvre dans ce domaine".