Sans contact direct avec le monde du livre, sinon avec sa libraire à Dieulefit, dans la Drôme provençale où elle vit depuis dix ans, Valérie Paturaud a envoyé par la poste le manuscrit de son premier roman aux éditeurs qu'elle aimait. Et c'est Sandrine Pallussière, chez Liana Levi, qui la première a été touchée par ce portrait de Nézida Cordeil, épouse Soubeyran, morte en 1884 à 28 ans. A cette invisible de l'Histoire, à ce jeune visage sans histoire croisé dans des archives locales, la romancière a donné une âme forte et offert un destin, tragique.

Nézida, fille aînée d'une famille protestante de petits propriétaires terriens à Combs, un hameau balayé par la bise dans les rudes collines au-dessus de Dieulefit, pourrait être l'héroïne d'un livre de Michelle Perrot, une paysanne minuscule ployant sous le poids des devoirs et des charges de son milieu et des déterminismes de son temps. Mais si Valérie Paturaud restitue sans prétention le contexte historique, elle a choisi de resserrer le cadre pour composer une minifresque familiale, précise et délicate comme une miniature : la vie imaginaire et rêvée de Nézida vue par les siens. Avec son prénom rare d'origine québécoise, Nézida s'acharne dès l'enfance à sortir du rôle que sa naissance et son sexe ont prévu pour elle : servir les hommes, épouser adolescente un garçon du coin, avoir la maternité comme unique horizon. Elle refuse le choix entre une vie de labeurs domestique et agricole ou un travail d'ouvrière dans les manufactures de textile ou de poterie de la vallée. Elle résiste à toutes les assignations de son monde de traditions structuré par l'appartenance confessionnelle, où « une femme sans homme est une femme sans terre ». Fuyant ce hameau sans lavoir ni sage-femme, pour suivre à Lyon son élu issu d'une famille bourgeoise et pieuse de Dieulefit, la jeune femme va découvrir tout ce à quoi elle aspirait.

Le roman qui débute par une veillée d'agonie tandis que Nézida vient de donner naissance à son premier enfant, fait entendre les voix de ceux qui l'ont côtoyée et la pleurent. Mère, frères, époux, beaux-frères, amie d'enfance, amie d'élection, ancien instituteur..., endeuillés aimants, tous tour à tour admiratifs, incrédules ou réprobateurs, tous témoins impuissants de la folle ambition de l'insoumise, qui a voulu écouter les promesses du vent.