Un rez-de-chaussée sur cour dans une petite rue en plein Pigalle. Dès l'entrée de l'appartement qui était auparavant une ancienne boutique, il semble évident que Serge Clerc prise tout particulièrement l'espionnage. La bibliothèque des lieux rassemble un solide rayon sur le sujet, des romans de John Le Carré, Len Deighton, Robert Littell ou des vieux Brian Freemantle en "Série noire". Ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait que notre hôte a démarré aux Humanoïdes associés en 1978 avec Le dessinateur espion, avant d'y signer quatre ans plus tard Mémoires de l'espion, sur un scénario de son ami - et aujourd'hui éditeur - José-Louis Bocquet.
Tout de noir vêtu, le créateur du mythique personnage de Phil Perfect, dont Dupuis prépare une intégrale, signale qu'il a repéré avec amusement un "Felix Perfecto" dans un opus de Barry Gifford intitulé Rude journée pour l'homme léopard ! Sur les murs de son atelier, difficile de ne pas s'arrêter un instant devant des originaux de Romain Slocombe, Avril, Ted Benoit, Chaland, et même sur "un petit Tillieux avec quinze millions de textes". Serge Clerc rentre à peine de Belgique, et de l'imprimerie Proost à Turnhout, où il a assisté au calage de son dernier volume. Pas une bande dessinée mais un livre d'images, Spirou vers la modernité, qui sort chez Dupuis. Un tirage de 2 600 exemplaires dédicacés à la main avec une sérigraphie. Soit 38 dessins à l'encre qui ont nécessité près de 140 pages d'études.
Le projet vient d'un collectionneur avisé qui a la bonne idée de lui commander en 2002 un dessin original représentant Spirou. Cela tombe bien, le natif de Roanne, une "villetriste" où il a vu le jour en 1957 et dont il est parti à "17 ans et 9 mois", aime revisiter ses maîtres. "C'est reposant, la matière existe déjà, mais il faut apporter quelque chose", dit-il, indiquant qu'il s'est vite pris au jeu. Qu'il a eu envie d'arriver à mettre en scène un univers plus moderne et plus design que celui de Franquin. De confronter Spirou à Picasso, à Giacometti, à l'architecture et au mobilier.
A 6 ou 7 ans, déjà, le lecteur furieux d'Akim, Zembla, Blek le roc ou Rodéo voulait faire du dessin. A 11 ans, un an après avoir monté son propre fanzine, Absolutely Live, il découvre les Doors grâce à un oncle qui lui offre la compilation 13. Tout juste majeur, le voici à Paris, dans un studio rue de Clignancourt. Il n'a pas d'amis, fréquente les gens de Métal et de Rock & Folk, qui hébergent ses dessins. Il avait envoyé les premiers par la poste à Moebius, qui avait intégré deux de ses planches dans le numéro 4 de Métal Hurlant. Grâce à Jean-Pierre Dionnet, il réalise en 1976 la pochette d'un coffret de disques d'Eddy Mitchell pour Barclay. Une époque où il traîne au Rose Bonbon, le plus souvent au bar, essayant de "se donner du courage pour draguer les filles". Où il collabore au New Musical Express, vit sa passion, apprend sur le tas. Après un passage à vide en 1995, lorsqu'il "va au tapis", arrête de fumer et pense qu'il n'arrivera plus à dessiner, Serge Clerc s'est sérieusement remis en selle avec Le journal (Denoël Graphic, 2008). Un délirant roman graphique de 250 pages, dont le titre de travail était Métal Hurlant story, sur lequel il a trimé pendant quatre ans.
Aucune discipline
En début d'année, on l'a retrouvé avec l'épatant Après-midi à Drouot, paru au 9e Monde. Un hommage à un lieu où son regretté ami Yves Chaland allait acheter des meubles et où il a longtemps pensé qu'il fallait entrer "en queue-de-pie". L'auteur de La nuit du Mocambo (Les Humanoïdes associés, 1983), que bon nombre de ses fans considèrent comme son chef-d'oeuvre, travaille de plus en plus lentement. Il s'est mis à l'ordinateur sur le tard, et il y a peu à Photoshop, prétend ne pas avoir l'esprit mathématique ni aucune discipline. Le ténor de la ligne claire dont le trait doit être achevé se couche tard et se lève tard. Ce qui explique qu'il n'a "que des demi-journées" ! Il n'écoute plus tellement de musique, préfère les conférences de Michel Onfray sur France Culture, continue de se demander pourquoi on ne cesse d'envoyer dans les librairies 5 000 albums de bande dessinée par an. Qu'importe, lui rétorque-t-on, s'il y en a un de lui dans le lot !
Spirou vers la modernité, Serge Clerc, Dupuis, 55 euros, ISBN : 978-2-8001-5284-4, à paraître le 25 novembre.