Mardi 22 décembre, premier jour d’ouverture de l’Alpha, la nouvelle médiathèque de GrandAngoulême, les habitants se pressent en nombre pour découvrir ce bel équipement de 5 600 m2 signé par l’architecte Françoise Raynaud. Au rez-de-chaussée, des enfants feuillettent des albums, assis par terre, le dos calé contre les bacs à livres, tandis que leurs parents patientent dans les longues files d’attente qui se sont formées devant les automates de prêt. Plus loin, des adolescents testent le confort des fauteuils disposés parmi les rayonnages de romans, près de la grande baie vitrée. "Si on ne sait pas quoi faire le week-end, on pourra venir ici", lance un jeune, casque sur les oreilles, à ses copains. Le café, situé au dernier étage et ouvrant sur une grande terrasse ensoleillée, se taille un franc succès. Partout les visiteurs, sourire aux lèvres, semblent séduits. "C’est une belle offre, commente une dame accompagnée de son fils étudiant, croisée devant l’entrée. On a attendu longtemps cette bibliothèque, qui manquait cruellement à Angoulême."
Trois bibliothèques
Constituée de cinq grands cubes de couleur empilés les uns sur les autres et prolongés par des terrasses, l’Alpha a été conçue pour être un lieu attractif, largement ouvert à tous les publics et à des pratiques diversifiées. Pour résumer sa philosophie, Dominique Peignet, directeur de l’Alpha et concepteur du projet, a demandé au programmiste de travailler cet établissement comme un magasin en ville, "un lieu où l’on peut entrer et sortir à sa guise, sans que personne ne vous demande rien, explique le directeur. Même le nom, l’Alpha, n’est pas connoté bibliothèque, pour que les gens puissent s’approprier le lieu plus facilement." Rompant avec la tendance actuelle aux espaces décloisonnés, l’Alpha a été conçue comme trois bibliothèques autonomes, avec chacune une ambiance spécifique et un mobilier original : l’enfance et l’imaginaire ; l’art et la musique ; l’étude et la connaissance, complétées par le hall d’accueil, l’auditorium de 80 places et le café, chaque espace pouvant fonctionner indépendamment des autres. "Aujourd’hui, quand on conçoit un bâtiment, il faut l’envisager pour les quarante ans à venir et faire en sorte qu’il puisse évoluer et être reprogrammé sans devoir tout remettre en cause, poursuit Dominique Peignet. A l’heure où les budgets sont contraints, la modularité permet d’envisager la location de certains espaces du bâtiment."
Après de longues années de débats houleux sur l’emplacement où devrait être construite la future médiathèque - en centre-ville, à côté de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, près de la gare -, Philippe Lavaud, maire d’Angoulême et président de la communauté d’agglomération de 2008 à 2014, opte pour une implantation derrière la gare. Ce choix est dicté par deux facteurs principaux : le prix du terrain y est moins cher qu’en centre-ville, et, surtout, la médiathèque va devenir l’élément clé du grand projet de requalification urbaine du quartier de L’Houmeau, élaboré dans la perspective de l’arrivée de la LGV (Ligne à grande vitesse) en 2017. Pour cette ville dont la population s’érode inexorablement depuis plusieurs années, l’enjeu est primordial : créer de l’attractivité pour les jeunes actifs en offrant un réseau de transport, des logements et des équipements culturels tels que l’Alpha. A terme, la médiathèque sera reliée à la gare par une passerelle au-dessus des voies. La gare sera quant à elle dotée d’une seconde entrée et d’un second parvis du côté du quartier de L’Houmeau et de l’Alpha. Pour la médiathèque, le défi est maintenant d’attirer les usagers dans cet endroit qui reste un peu excentré.
Une identité communautaire à construire
Autre défi de taille pour l’Alpha : définir son rôle au sein du réseau constitué de onze bibliothèques municipales réparties sur les 16 communes que compte l’agglomération, l’Alpha étant le seul équipement de lecture publique communautaire. Les bibliothèques se sont déjà dotées d’une carte de lecteur unique et d’un catalogue commun. Les maires, qui ont dû contribuer financièrement au projet, se montrent pour l’instant sceptiques sur ce que pourra leur apporter ce grand équipement implanté dans la ville-centre. Pour le directeur de l’Alpha, la mission communautaire nécessite un service, du personnel et un budget dédiés. "Tout va dépendre de l’écho que trouvera la médiathèque auprès de la population, souligne Dominique Peignet, qui rappelle que les bibliothèques d’Angoulême accueillaient déjà 30 % d’usagers extérieurs à la ville. Si l’Alpha fait la preuve de son efficacité, les moyens suivront." Pour la nouvelle médiathèque, le directeur s’est fixé des objectifs précis : atteindre 250 000 entrées par an, 25 000 usagers actifs au lieu de 15 000 actuellement, et 400 000 prêts.