6 mars > récit états-Unis

Après Sunset Park (Actes Sud, 2011), l’un de ses plus beaux romans qui le montrait capable de se renouveler, l’Américain s’accorde cette fois une parenthèse autobiographique. Et livre un récit personnel, genre où il a jadis excellé avec L’invention de la solitude (Actes Sud, 1988, repris en Babel). Un opus qui le voyait s’interroger sur la mort soudaine de son père et sur la mémoire.

Tout au long de Chronique d’hiver, belle méditation sur les cahots de l’existence et le temps qui passe, Paul Auster ne dit pas « je », il dit « tu ». L’homme qui prend la parole est sur le point d’avoir 64 ans. Il n’est plus si jeune, sans être pour autant d’un « âge terriblement avancé ». Le voici qui se regarde dans le miroir de la salle de bain et qui réalise que « toute vie est contingente à l’exception de son unique aspect nécessaire, à savoir que, tôt ou tard, elle prend fin ». Comment raconter le long voyage qui l’a amené jusqu’ici depuis l’enfance ? Comment évoquer les plaisirs et les douleurs physiques, les coups encaissés et les cicatrices ? Comment dire qu’il ressent dé-sormais plus fortement l’attaque du vent et du blizzard ?

Paul Auster revient sur le garçon de 15 ans qu’il fut, amateur de baseball et de filles, alors prisonnier « des tourments de frustration et d’incessante excitation sexuelle ». Sur un adulte qui s’est peu à peu construit - notamment à Paris, où il lui arriva de passer une nuit avec Sandra, prostituée au corps majestueux pouvant réciter de mémoire du Baudelaire. Sur ses crises de paniques, ses insomnies, ou un problème de vessie qui entraîna un accident de la route.

Auster évoque avec tendresse sa rencontre avec Siri Hustvedt en février 1981, « habitante de Manhattan, chevronnée, engagée », qu’il a réussi à entraîner à Brooklyn, véritable « arrière-pays urbain ». Son épouse, qu’il aime depuis trente ans, une femme dotée de « l’étrange pouvoir de lire dans les pensées des autres, de voir à l’intérieur de leur âme, de flairer les courants cachés à l’œuvre sous quelque condition humaine que ce soit ». Au fil des pages, l’écrivain se souvient des appartements et maisons où il a habité - ses vingt et une « adresses permanentes » - ou de sa mère, personnage hautement complexe, disparue brutalement en 2002 dans le New Jersey. Mère dont il a dispersé les cendres dans les bois de Prospect Park où elle avait si souvent joué étant petite.

Auster tombe les masques sans jamais glisser dans le pathos. Et parvient à signer - de la main droite et au stylo noir - un « Mon cœur mis à nu » doublé d’un « Mon corps mis à nu ». Pour cela, l’auteur de Moon Palace (Actes Sud, 1990, repris en Babel) et de Léviathan (Actes Sud, 1993, repris en Babel) a plongé en lui-même avec sincérité, gratté ses plaies, appuyé là où ça fait mal. Autoportrait sans concession d’un homme qui ne possède pas de voiture, boit et fume trop, Chronique d’hiver raconte l’inévitable montée du soir avec autant de vérité que d’émotion. Alexandre Fillon


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