30 mars > Récit France

Professeur d’esthétique à Paris-3 Sorbonne nouvelle, essayiste, Bruno Nassim Aboudrar a également publié un roman remarqué, Ici-bas (Gallimard, 2009), prix Senghor du Premier roman francophone. Ceci explique sans doute que son nouveau livre, Qui veut la peau de Vénus ?, soit assez inclassable. Une espèce de mille-feuilles qui peut se lire à plusieurs niveaux, une étude érudite, technique, sur la Vénus au miroir de Velázquez, dite aussi Vénus Rokeby, du nom du collectionneur anglais qui l’a acquise en 1813, et permis à la National Gallery de Londres de l’inscrire en 1906 parmi ses trésors.

En 1943, en plein Blitz, le tableau consolait les Anglais de leurs souffrances. Mais c’est aussi une œuvre contestée dans son attribution même au maître espagnol. Peinte en 1650 lors de son second séjour à Rome, la toile figurerait, dans le plus simple appareil (mais de dos), la jeune maîtresse d’un artiste en proie au démon de la cinquantaine. Pour un peintre si pieux, si guindé, shocking !

Ce qu’on sait moins, c’est que le tableau fut l’objet d’un autre scandale, toujours à cause de son sujet "audacieux". Le 20 mars 1914, une certaine Mary Richardson, une suffragette canadienne exaltée, fanatique, après avoir acquis une "hachette de dame" (donc, préméditation), l’a lacéré méchamment de pas moins de sept coups de lame. Elle a expliqué son geste, quarante ans plus tard, par son militantisme en faveur du droit de vote des femmes, alors violemment débattu en Grande-Bretagne, cause incarnée par Mrs Pankhurst, son héroïne.

La furieuse fut emprisonnée, le tableau minutieusement restauré. Puis, les suffragettes ont été amnistiées en raison de leur comportement patriote durant la Grande Guerre. Et même, en 1918, le droit de vote leur fut accordé (partiellement) par le roi. Fin de l’histoire et happy end pour ce livre réjouissant, qui se lit comme un polar esthétique, historique, politique, porté par une écriture élégante. J.-C. P.

Les dernières
actualités