Bon, autant le dire tout de suite : ce roman est piégé. Une histoire de mise en scène d’Anouilh dans le Liban en guerre, Antigone jouée par des représentants des diverses communautés, soit. On envisage quelque chose entre Valse avec Bachir pour le décor et le traumatisme et La visite de la fanfare pour la petite musique et l’amitié entre les peuples. Le narrateur est un jeune idéaliste français qui laisse derrière lui femme et enfant pour se rendre au Liban à la demande d’un vieil ami. Celui-ci, héros de toutes les épopées du XXe siècle de son état, non content d’avoir perdu ses parents à Auschwitz et combattu la dictature des colonels en Grèce, veut comme fait d’armes ultime monter ladite pièce au milieu de Beyrouth, en 1982. Rien ne manque : jeune homme naïf à la larmichette facile, vieux sage sur son lit de mort expliquant que la violence ne résout rien, le tout mâtiné de remarques brechtiennes sur le théâtre comme arme politique. O pouvoir immense de l’art littéraire ! En route pour Beyrouth, vous allez voir que les miliciens vont poser leur kalach et se tomber dans les bras en pleurant de joie. Ben oui. Mais non, en fait. C’est là que ça devient, non pas intéressant, mais terrible. Le vieux sage crève de son cancer. Le jeune gaucho ne comprend rien à rien, réunit la troupe, tombe amoureux de la belle Antigone, se prend des bombes au phosphore dans les yeux en voulant mettre à l’abri une petite fille mutilée. Découvre Chatila à l’aube du massacre, en cherchant son Antigone. De là, plus de théâtre. C’est un voyage sans retour, où prend sens l’écriture syncopée de reportage. « La tragédie, c’était gratuit. C’était sans espoir, ce sale espoir qui gâchait tout », disait Anouilh. Sorj Chalandon n’a pas fait semblant de comprendre. Il n’est pas homme à réfléchir, deux romans d’affilée, sur la trahison pour se reposer ensuite avec une histoire de colonie de vacances thème théâtre, quitte à changer de décor. Non. A travers ce personnage, qui de papa gâteau devient milicien apatride, il suit le même chemin que dans ses précédents livres, sur le fil de rasoir qui sépare le fragile bonheur humain de la folie destructrice du monde. Fanny Taillandier
La tragédie, c’est gratuit
Sorj Chalandon revient avec un roman qui parle de théâtre et de guerre, surtout de guerre.