La grande chambre de la Cour a jugé que la fourniture au public par téléchargement, pour un usage permanent, d’un livre électronique relève de la notion de «communication au public» au sens de la directive sur le droit d’auteur, et non pas du droit de « distribution au public » comme l’affirmait la société Tom Kabinet qui mettait des livres électroniques à la disposition des membres du «club de lecture» créé par cette dernière sur son site Internet ou de reproduire ces livres.
Communication v. Distribution
Dans un premier temps, les deux associations avaient saisi le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas) d’une requête visant à faire interdire, entre autres, ce service en ligne à la société Tom Kabinet. Selon NUV et GAU, ces activités portent atteinte aux droits d’auteur de leurs affiliés sur ces livres électroniques. En proposant des livres électroniques «d’occasion» à la vente dans le cadre de ce club de lecture, Tom Kabinet effectuerait une communication au public non autorisée de ces livres.
Or Tom Kabinet soutient que de telles activités relèvent du droit de distribution, soumis par la directive à une règle d’épuisement lorsque l’objet concerné a été vendu dans l’Union par le titulaire du droit ou avec son consentement. Il conteste ainsi le droit exclusif des éditeurs d’autoriser ou d’interdire la distribution des livres électroniques épuisés au public.
La question de l'épuisement (et de la rémunération)
La Cour a donné raison aux deux associations, considérant que la fourniture par téléchargement, pour un usage permanent, d’un livre électronique ne relève pas du droit de « distribution au public » mais bien du droit de « communication au public » pour lequel l’épuisement est exclu.
À l’appui de ce constat, la Cour a notamment déduit du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur que le législateur de l’Union avait eu l’intention de réserver cette règle d’épuisement à la distribution d’objets tangibles, tels que des livres sur support matériel.
Pour la CJUE, « l’application de cette règle d’épuisement à des livres électroniques risquerait d’affecter l’intérêt des titulaires à obtenir une rémunération appropriée de manière beaucoup plus significative que dans le cas de livres sur support matériel, dès lors que des copies numériques dématérialisées de livres électroniques ne se détériorent pas avec l’usage et constituent ainsi, sur un éventuel marché de l’occasion, des substituts parfaits des copies neuves. »
Hors-contrat
La CJUE rappelle dans son arrêté qu’il y a « lieu de tenir compte non seulement du nombre de personnes pouvant avoir accès à la même œuvre parallèlement, mais également du nombre d’entre elles qui peuvent avoir successivement accès à celle-ci. En l’occurrence, selon la Cour, le nombre de personnes pouvant avoir accès, parallèlement ou successivement, à la même œuvre par le biais de la plate-forme du club de lecture est important. »
Par ailleurs, la Cour a jugé que, « pour être qualifiée de communication au public, une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un public nouveau, c’est-à-dire un public n’ayant pas déjà été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de leur œuvre au public. En l’occurrence, dès lors que la mise à disposition d’un livre électronique est en général accompagnée d’une licence d’utilisation autorisant seulement la lecture de celui-ci, par l’utilisateur ayant téléchargé le livre électronique concerné, à partir de son propre équipement, il y a lieu de considérer qu’une communication telle que celle effectuée par la société Tom Kabinet est faite à un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur et, partant, à un public nouveau. »