Manifeste engagé, édifiant, mais d'une douceur de ton et d'une humilité frappantes, Il est temps que je te dise, le troisième livre de David Chariandy publié par Zoé après deux romans (Soucougnant en 2012 qui paraît simultanément en poche et 33 tours en 2018) est une lettre que l'écrivain canadien aux origines afro-asiatiques adresse à sa fille de 13 ans, fruit d'un métissage complexe.
A partir de son histoire, et de celle de ses parents immigrés de Trinidad en 1963, l'écrivain et enseignant quinquagénaire, fortement marqué par la lecture de James Baldwin, délivre une réflexion intime et d'une portée de leçon générale sur la permanence des préjugés racistes et la condition de l'homme noir. Il évoque son enfance de garçon métisse de la classe ouvrière dans un quartier de la classe moyenne blanche de Scarborough, dans cette province de l'Ontario où il est né d'une mère caribéenne, descendante d'esclaves arrachés de l'Afrique de l'Ouest et d'un père dont les ancêtres sont arrivés plus tard d'Asie du Sud pour être « engagés » dans les champs de canne à sucre et les habitations de cacao. Une anecdote au début du livre sert de point de départ : ce « Je suis née ici, je suis chez moi », lancé agressivement par une femme blanche dans un café bio de Vancouver où le jeune père partageait un gâteau avec sa fille de trois ans.
Plus tard dans le récit, l'écrivain revient aussi sur l'épisode qui secoue toute la famille où son jeune fils se fait traiter de « nègre » par l'une de ses camarades de classe. « Je n'ai pas besoin de m'identifier aux victimes du sectarisme et du racisme : je connais ce sentiment de façon intime et viscérale », observe-t-il sobrement dans cette lettre beaucoup moins rageuse que la célèbre Colère noire de Ta-Nehisi Coates adressé à son fils de 15 ans à laquelle elle fait penser. En père admiratif, surpris de constater que son enfant n'a pas la même expérience du monde que lui au même âge, inquiet mais avant tout soucieux de ne pas écraser la jeune fille sous le poids de sa propre vision, l'encourageant à embrasser toutes ces identités - sa mère appartient à la grande bourgeoisie canadienne blanche - pour se libérer des assignations, David Chariandy déploie sans angélisme mais non sans confiance, son message humaniste : « S'il y a quoi que ce soit à apprendre de l'histoire de nos ancêtres, c'est qu'on doit se respecter et se protéger soi-même ; qu'on doit voir, véritablement voir, la vulnérabilité, la créativité, l'immuable beauté des autres. »
Il est temps que je te dise : lettre à ma fille sur le racisme - Traduit de l'anglais par Christine Raguet
Zoé
Tirage: 3 000 EX.
Prix: 14 euros ; 112 p.
ISBN: 9782889277278