C’est bien connu, depuis que George Orwell l’a théorisé en 1945 : "Le sport, c’est la guerre, le fusil en moins." Seulement voilà, cette phrase est plus ambiguë sans doute qu’il n’y paraît. Si elle stigmatise le caractère ontologiquement belliqueux et tribal, moins du sport d’ailleurs que de ceux qui se passionnent à son propos, elle autorise à rêver que, puisque "fusil en moins" il y aurait, dans la marche du monde, un mauvais match pourrait faire mieux l’affaire qu’une bonne guerre.
C’est sans doute une réflexion de cette sorte qui est à la source du passionnant essai - autant que récit - Le dernier penalty du journaliste italien Gigi Riva (qui porte il est vrai un nom prédestiné, celui de l’un des plus grands attaquants de l’histoire du football transalpin). Riva, spécialiste des conflits ayant déchiré les Balkans à la fin du siècle dernier, dresse l’acte de décès de ce qui fut la Yougoslavie à une date et dans un lieu inattendus. Selon lui, la mort serait intervenue le soir du 30 juin 1990, sur un terrain de football, à Florence. Ce soir-là, en effet, l’équipe nationale de Yougoslavie affronte celle d’Argentine en quarts de finale de la Coupe du monde. Le match va à son terme sur un score de parité, et c’est l’épreuve des tirs aux buts qui doit départager les deux équipes. Le dernier tireur yougoslave, l’un des plus expérimentés et talentueux joueurs de son pays, l’un des plus attachés aussi à la fédération yougoslave et à l’héritage du titisme, le Bosnien Faruk Hadzibegic, échoue et élimine son équipe. C’est plus qu’un penalty que le natif de Sarajevo a raté là, mais avec lui la possibilité d’apaiser peut-être (le conditionnel est de rigueur) les tensions ethniques qui se font déjà jour partout dans le pays, notamment depuis un autre match de foot ayant opposé le plus grand club croate, le Dinamo Zagreb, au meilleur club serbe, l’Etoile rouge de Belgrade. L’heure n’est plus au jeu et les armes vont parler, pour ce qui sera au cœur de l’Europe l’un des plus sanglants conflits de la deuxième moitié du XXe siècle.
C’est tout cela, et d’abord ce rêve foudroyé, que nous narre Gigi Rivadans une excellente traduction de Martine Segonds-Bauer, qui conserve au texte, malgré son "décor" sportif, son caractère littéraire. Il le fait avec une empathie navrée pour les pauvres héros de cette histoire, et surtout en exposant sobrement les causes et conséquences qui mènent au désastre. A quoi tient, parfois, la chute des empires et la tristesse des peuples ! Olivier Mony