En fait, autant le dire dès maintenant, Rebbibia n’est pas du tout une université : c’est la prison pour femmes de Rome. Goliarda Sapienza y a purgé une courte peine pour vol en 1980, dont ce livre est le récit. D’abord placée à l’isolement, elle monte ensuite à l’étage supérieur, dans un centre de détention dont les règles sont plus souples : les cellules sont collectives, mais ouvertes du matin jusqu’au soir, ce qui permet aux détenues de circuler librement pendant la journée. Ces détenues ressemblent à l’Italie des années 1970 et aux films d’Ettore Scola : gitanes enjôleuses, petites toxicomanes, gauchistes et trafiquantes de drogue se mêlent dans un vacarme tour à tour guilleret et furieux, où Goliarda Sapienza peine d’abord à démêler les voix. Etonné et sensuel, son regard sur chacune permet une galerie de portraits et de scènes hauts en couleurs, drôles ou émouvants. C’est à la sincérité que s’attache la narratrice, contrairement aux prisonniers politiques, qui tirent gloire de leur séjour et dont le « récit est faussé par ce qu’il a d’épique ». Nulle vocation de cet ordre : seul le témoignage d’une prisonnière de droit commun, corps parmi d’autres.
Ce témoignage est l’occasion d’une réflexion sur la hiérarchie sociale et sur la possibilité de sa disparition. De la sorte, Sapienza revient au même questionnement qui fondait la démarche romanesque de L’art de la joie et à la même sévérité envers les théoriciens. « Entre nous, ectoplasmes du dehors, commence même à se murmurer que les classes n’existent plus. Pauvres rêveurs ! Que ne donnerais-je pour les traîner tous voir ici […] la synthèse claire du monde du dehors, avec son éternelle reproduction du jeu du serviteur et du maître… » Les classes subsistent. Mais l’expérience collective n’en est pas moins inédite : « Je suis dans une centrifugeuse », écrit l’auteure. « Attention et solidarité absolue envers qui vous est amie, rejet complet de qui vous est ennemie. Impossible de trouver des nuances dans cette société. » Et finalement, peut-être est-ce « entre ces murs » qu’on est « en train d’essayer quelque chose de radicalement nouveau ». A méditer.
Fanny Taillandier
