A sa mort, il a fait la une des journaux et a eu droit à un hommage planétaire digne des plus grands chefs d’Etat. Il faut dire que Gabriel García Márquez, né en 1927 à Aracataca en Colombie et décédé jeudi 17 avril à Mexico, a régné sur les lettres mondiales et hispaniques en particulier comme l’un des hérauts du réalisme magique. Pas l’unique des représentants de ce mouvement latino-américain mêlant au récit l’irrationnel et le fantastique, mais sans conteste le plus lu.
Márquez, qui débuta comme journaliste à la toute fin des années 1940 et qui fut couronné du prix Nobel de littérature en 1982, avait vu, très vite après sa parution en 1967 à Buenos Aires, son magistral roman Cent ans de solitude traduit en une vingtaine de langues. Aujourd’hui, la foisonnante fiction se déroulant dans la région de l’enfance de "Gabo" - la côte caraïbe colombienne - a dépassé les 25 millions d’exemplaires à travers le monde. Avant même sa disparition, Gabriel García Márquez était devenu un classique. Pourtant, il y eut en France un départ mitigé. Cent ans de solitude, son premier ouvrage traduit en français par Claude et Carmen Durand et paru au Seuil en 1968, ne rencontra pas l’enthousiasme escompté.
"Il avait éprouvé une grande déception devant l’accueil réservéà Cent ans de solitude par rapport aux autres pays où ce livre était traduit", témoigne Ariane Fasquelle, responsable du secteur étranger chez Grasset et dont le père, Jean-Claude Fasquelle, directeur de la maison à l’époque, allait accueillir l’intégralité de l’œuvre de l’écrivain colombien avec l’arrivée de Claude Durand comme éditeur.
Annie Morvan, éditrice au Seuil, qui le traduit depuis L’amour au temps du choléra (Grasset, 1987), explique ces réticences premières par le fait que le romanesque mâtiné d’irrationalité de Márquez avait dû offusquer les esprits cartésiens. Mais elle voit également une autre raison à cette tiédeur relative : l’amitié indéfectible du romancier pour Fidel Castro. Mauvais procès de la part d’une certaine critique. Annie Morvan s’en énerve encore.
A gauche, et engagé contre la dictature, Gabriel García Márquez le fut toute sa vie, mais "engagé avant tout dans la littérature". Et la traductrice de se rappeler un auteur "d’une immense générosité" : "C’était un bonheur de le traduire : non seulement c’était un styliste génial, mais il vous laissait en tant que traducteur toute latitude pour transposer le mouvement de son écriture." Généreux et curieux, le prix Nobel de littérature n’avait pas oublié son premier métier : la presse. Il cofonda en 1994 la Fundación Nuevo Periodismo Ibero-americano afin de promouvoir "un nouveau journalisme" en Amérique latine.
A l’initiative de cette fondation, va paraître une vie de García Márquez avec une sélection de ses articles, Gabo, periodista, de quelque 500 pages. Un inédit à paraître sine die chez Grasset. Sean J. Rose