La mère de l'ancienne directrice adjointe de la bibliothèque parisienne Jacques-Doucet, qui abrite notamment des originaux de Rimbaud, Verlaine ou Mallarmé, comparaît vendredi devant le tribunal correctionnel de Paris pour des soupçons de recel d'œuvres rares, une affaire ténébreuse marquée, en octobre 2022, par le suicide de sa fille, Sophie Lesiewicz.
Le tribunal devra déterminer ce qui s'est passé entre 2011 et 2022 au sein de cette bibliothèque aussi discrète que prestigieuse, nichée Place du Panthéon à Paris.
« L'affaire Doucet » a été mise au jour en octobre 2022 dans une enquête publiée par Le Monde. Selon le quotidien, le legs à la bibliothèque de 15 000 à 20 000 manuscrits et livres précieux par le bibliophile Jean Bélias, après son décès en 2010, a été entaché d'erreurs.
Alors que la règle commande de procéder à un inventaire exhaustif et minutieux du legs, rien n'est fait entre 2010 et 2014, a ainsi relaté le quotidien.
Que s'est-il passé durant ces années ? Qui est entré dans l'appartement où le défunt conservait « une cathédrale de livres » rares et précieux ?
En 2014, les livres du legs Bélias sont stockés dans un garde-meubles. Le Monde révèle qu'un marché est passé avec un libraire « en dehors de tout cadre légal » pour échanger des livres de la collection Bélias contre d'autres susceptibles d'enrichir celle de Doucet.
Des employés de Doucet confient au quotidien avoir vu Sophie Lesiewicz quitter la bibliothèque avec « des sacs remplis à ras bord » de livres.
Excédés, des salariés rédigent en mars 2018 un rapport à la chancellerie des universités de Paris (qui gère la bibliothèque) et au ministère de l'Enseignement supérieur. Ils évoquent un trafic de livres et des disparitions inquiétantes d'ouvrages rares. Le Canard Enchaîné évoque pour la première fois l'affaire.
Inquiètes, des familles de donateurs écrivent à leur tour au recteur de la chancellerie. Parmi les signataires, on trouve les filles du poète Francis Ponge et du peintre Nicolas de Staël.
Ventes publiques
Des pièces de la collection Jean Bélias apparaissent dans des ventes publiques. Certains lots, dont une eau-forte de Chagall et un portrait d'Erik Satie par Jean Cocteau, sont vendus au nom de Marie-Christine J., 76 ans, la mère de Sophie Lesiewicz aujourd'hui sur le banc des prévenus.
Au lendemain de la publication de l'enquête du Monde, Sophie Lesiewicz, principale mise en cause, se suicide. Avant ce drame, elle avait dénoncé le « harcèlement » dont elle aurait été la victime de la part d'une « clique » d'employés de la bibliothèque.
La bibliothèque ferme aussitôt et le restera jusqu'en septembre 2023.
Animée par une nouvelle équipe, la bibliothèque Jacques-Doucet souhaite mettre « l'affaire Doucet » derrière elle.
Tandis qu'un travail de récolement (un inventaire complet et précis des collections) est toujours en cours, les acquisitions ont repris.
Des épreuves corrigées du Poète assassiné, de Guillaume Apollinaire, des correspondances du philosophe Henri Bergson ont été achetées depuis l'affaire, se félicite la bibliothèque.
Le typographe, écrivain et éditeur hongrois Paul Nagy a donné ses archives, et d'autres fonds poursuivent leur enrichissement comme ceux de Bernard Noël, André Breton ou Max Jacob, a indiqué la bibliothèque, créée au début du XXe siècle par Jacques Doucet, un couturier mécène et collectionneur, ami d'André Suarès, proche d'André Breton et Louis Aragon.
La bibliothèque Jacques-Doucet abrite les fonds des plus grands écrivains français de Charles Baudelaire à Jean Echenoz.
Dans les rayonnages, on compte plus de 140 000 manuscrits originaux, 50 000 livres imprimés enrichis, 800 revues littéraires et poétiques, plus d'un millier de reliures d'art, des photographies, des peintures, sans compter des dessins de Picasso ou des estampes de Braque, Miró et Chagall ainsi que des objets mobiliers d'écrivains.