Olivier Bétourné, grande figure incontournable du monde du livre et des idées est présenté pudiquement en quatrième de couverture de La Vie comme un livre (Philippe Rey) comme ayant « été éditeur et cadre dirigeant dans plusieurs maisons d'édition avant de devenir le président-directeur général des Éditions du Seuil de 2009 à 2018. »
Dans ce livre de mémoires, dense et passionnant (et pas seulement parce que j’y suis à la fois tantôt comme avocat et comme écrivain !), Olivier Bétourné revient longuement sur « l’affaire Renaud Camus » qui a plus qu’ému en 2000, il y a donc déjà vingt ans…
Rappelons-nous : en 1979 paraît Tricks de Renaud Camus, avec une préface de Roland Barthes, qui rassemble trente-trois courts récits de rencontres sexuelles dans le milieu gay. Le talent dépasse alors le scandale. Puis suivront bien des livres, dont de nombreux volumes de journal, fidèlement publiés par P.O.L. Jusqu’au tome intitulé La Campagne de France, refusé par Paul Otchakovsky-Laurens, qui parait donc chez Fayard, par le grâce de Claude Durand.
Antisémitisme
Tout y tient en quelques lignes abjectes sur les journalistes juifs de France Culture. Devant le tollé, le livre sera retiré de la vente et ressortira un mois dans une version plus acceptable. Las, Renaud Camus, qui s’est donc révélé à cette occasion antisémite à la Maurras (résumons-le ainsi : les juifs ne seraient pas de vrais Français…) passera vite à la théorie du grand remplacement et autres horreurs. Et deviendra une idole de l’extrême-droite identitaire, nouant-là sans doute avec un succès de souffre qu’il recherchait non plus par les mœurs et, pour notre malheur, par la stigmatisation de nos frères humains.
Un seul exemple judiciaire de ce naufrage en forme de haine constante : le 10 avril 2014, la « chambre de la presse » - la 17ème correctionnelle - du Tribunal de grande instance de Paris a condamné Renaud Camus, à la suite de propos tenus lors des « Assises internationales sur l’islamisation de nos pays ». Les juges, saisis par une association de lutte contre le racisme, ont examiné les termes de « colonisateurs », de responsables de « vols » et de « rackets dans les écoles », et autres amalgames.
Ils ont surtout retenu que « ces propos émanent d‘un écrivain se disant particulièrement soucieux du choix des mots qui traduisent exactement sa pensée lorsqu’il s’exprime » ; et de préciser que « ils ont fait l’objet d’une lecture lors de la réunion publique incriminée, l’écrivain lisant une allocution qu’il avait auparavant rédigée, ne donnant lieu à aucune improvisation ». Un professeur de philosophie a été condamné à l’occasion de la même procédure pour des phrases de la même eau que le littérateur devenu tribun haineux. Le tribunal a retenu la qualification d’ « incitation à la haine raciale ».
Bouillie puante
Deux décennies plus tard, Olivier Bétourné nous en apprend encore beaucoup sur l’affaire Camus et la division créée au sein de Fayard par le choix de Claude Durand, qui dirigeait alors la maison, secondé par notre mémorialiste, en opposition radicale à l’édition persistante de cette bouillie antisémite.
Souvenons-nous à propos de cette querelle interne que Jean-Etienne Cohen-Séat, alors directeur délégué de la branche littérature d'Hachette Livre – à laquelle appartient Fayard -, en dira ceci, de très pertinent : « Le livre de Renaud Camus pue. »
Olivier Bétourné raconte surtout comment Renaud Camus est envoyé chez mon confrère et ami Henri Leclerc, alors avocat de référence de Fayard, qui caviarde copieusement le livre déjà publié et tance vertement son auteur… Celui-ci en est sorti rageur, rechignant au verdict implacable de l’ancien Président de la Ligue des Droits de l’Homme.
J’ai accepté une visite tardive peu agréable, sur la demande insistante de « POL » qui, malgré tout, ne se sentait pas de laisser la situation empirer et m’a expédié le fameux Camus. J’ai pris une bonne heure pour expliquer au diariste, que j’avais croisé des années auparavant sans soupçonner sa dérive, les passages répréhensibles de ses textes, en particulier sur son site internet (un hyperblog littéraire où il développait les notes de bas de pages de son journal et les digressions interminables). Ce pendant numérique de l’ouvrage litigieux était bien pire et je caviardais la plupart des horreurs illégales qui y persistaient, non encore découvertes par la presse.
La nausée
Renaud Camus a paru m’écouter et je n’ai pas pu m’empêcher de le remettre à sa place lorsqu’il a tenté de me convaincre de son bien-fondé.
Une fois chez moi, tard dans la nuit, comme convenu, j’ai vérifié, en me connectant à son site, la suppression des pages désignées par mes soins. Et j’ai eus une conversation brève avec lui, mettant fin à son dossier.
J’ai tenu Paul (« POL ») au courant et n’ai pas facturé cette consultation en urgence qui m’avait donné la nausée.
Ni Henri ni moi n’avons plus eu de contact avec Renaud Camus. Et le livre est reparu réécrit tandis que le site restait miraculeusement indemne de tout reproche. Et cette « affaire Camus » se tassa (mais hélas pas la créature qui s’y était complu), sans procédure aucune. Lié par le secret professionnel et peu enclin, de toute façon, à faire état de cette clientèle d’un soir, j’ai alors tu mon intervention. Je me suis libéré de ce secret à l’arrivée en librairie, d’un nouveau volume du journal, livré à chaud et publié par une officine belge, consacré uniquement à ces péripéties et intitulé Corbeaux.
J’y ai lu des contrevérités sur la chronologie et notre double intervention d‘avocats. Mais j’ai été presque soulagé de lire, sur près de trois pages, que mon ami Henri Leclerc et moi-même n’avons rien compris à l’écriture. J’y suis d’ailleurs dénoncé comme le « faux ami des écrivains ».
Cela m’a valu par la suite quelques messages mi-hilares mi-sympathisants de protagonistes de l’affaire – journalistes et essayistes – qui, eux, ont publiquement bataillé contre cette prose nauséabonde. J’ai souvent fait l’expérience de ces supposés hérauts de la pire idéologie, pétris de liberté d’expression, qui appliquent à la lettre mes consignes de peur du procès, et se vengent en me vouant publiquement aux gémonies.
Mon modeste humanisme va bien évidemment à d’autres gens de lettres, tel qu’Olivier Bétourné.
Concluons que les mérites de son livre sont d’ailleurs bien plus foisonnants qu’un récit exemplaire de l’affaire Camus vécue de l’intérieur, lequel devait être offert aux apprentis éditeurs de nos universités et organismes de formation. Car les gens du livre sont aux avant-postes des combats de notre société et portent un devoir républicain de pédagogie et de tolérance. La bête est toujours là et un de ses têtes d’hydre s’appelle Renaud Camus. Il ne nous faut plus en nourrir d’autres.