Livres Hebdo - L'AILF ne court-elle pas après une cause perdue dans la mesure où la diffusion de la langue française ne cesse de se réduire ?
Michel Choueiri - C'est une question pertinente. D'autant que ceux qui sont censés défendre cette cause paraissent s'en désengager. L'Etat français a réduit ses budgets auprès de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de l'Institut français dont les postes, à l'étranger, se font sponsoriser par des entreprises privées pour maintenir leur politique. Je souhaiterais aussi que l'OIF soit plus ferme auprès de certains gouvernements qui ont signé les accords de Florence et de Nairobi, et qui continuent à prélever des taxes sur les importations de livres. Si nous obtenons de la part des éditeurs des bonifications pour les pays à faible pouvoir d'achat, ce n'est pas pour que leurs Etats récupèrent ces sommes. Bref, le contexte est difficile mais la cause n'est pas perdue. Le français est une langue vivante et le marché du livre français à l'étranger génère chaque année un chiffre d'affaires d'au moins 600 millions d'euros. Cela justifie notre combat.
Comment évolue la situation par grandes zones géographiques ?
La langue française est pratiquée par 220 millions de personnes et apprise par plus de 100 millions. Malheureusement, elle perd du terrain. Dans les zones non francophones bien sûr, mais aussi dans les zones francophones où il existe une langue locale. Le recul est encore plus marqué dans les pays où l'anglais est pratiqué. Et ce n'est pas avec la percée du numérique, dominé par les Anglo-Saxons, que le mouvement risque de s'inverser.
Qui sont les adhérents de l'AILF aujourd'hui ?
Ce sont des libraires installés aux quatre coins du monde dont l'offre est entièrement ou partiellement francophone. Leur nombre est passé de 40 il y a dix ans à plus de 100 aujourd'hui. Mais avec près de 400 libraires vendant du livre français à l'étranger, il devrait encore augmenter. En 2011, nous avons d'ailleurs accueilli 18 libraires de plus, dont la moitié viennent de pays européens. Bien que de cultures différentes, nos adhérents ont vocation à se retrouver sur des valeurs de partage et de professionnalisme. Une charte a même été créée en 2009 et signée par 57 adhérents qui s'engagent à respecter ou tout du moins à se rapprocher de certains critères de qualité : diversité de l'offre, compétences de l'équipe, animations culturelles... L'objectif est d'amener tous nos membres à signer cette charte.
Comment ont évolué les rapports des libraires étrangers avec leurs fournisseurs français ?
Ils se sont améliorés grâce au travail de l'AILF, qui, dès le début, est intervenue pour résoudre des problèmes tant individuels que collectifs. Mais il reste beaucoup à faire sur la diffusion de l'information, les transports ou encore les remises, qui ne tiennent pas assez compte des problématiques propres aux librairies installées à l'étranger.
Quelle est, à votre avis, l'action la plus représentative de ce que doit être l'AILF ?
Il y en a plusieurs ! D'abord la Caravane du livre : chaque année, elle apporte une offre culturelle dans des régions d'Afrique de l'Ouest qui en sont dépourvues. Son succès a mis en lumière l'existence d'une demande pour les ouvrages de littérature non prescrite, notamment africaine. Les formations et les accompagnements individualisés sont aussi très importants, ainsi que les opérations de lobbying. Menées depuis des années avec constance, ces actions ont permis à l'AILF d'avoir une expertise qu'elle a su valoriser auprès des autres institutions travaillant au renforcement des cultures francophones. Résultat, de demandeuse d'aides, elle est devenue prestataire de services.
Avec la montée en puissance d'Internet et du numérique, quels sont les enjeux des prochaines années ?
Il faudra aider les libraires à répondre aux défis technologiques tout en continuant à améliorer leurs conditions de travail au quotidien et à favoriser l'accès de certaines populations aux livres. L'AILF a aussi vocation à faire circuler la littérature du Sud vers le Nord et au sein des différents pays du Sud. Par ailleurs, des réflexions sont engagées pour lancer une Caravane du livre au Maghreb.
Votre mandat de président arrive à échéance en mars. Vous représenterez-vous ?
Même si je le voulais, je ne le pourrais pas car j'ai déjà réalisé deux mandats qui s'inscrivent dans la continuité de mes prédécesseurs, Philippe Goffe et Agnès Avognon Adjaho (1). Un nouveau président sera élu lors du conseil d'administration du 20 mars.
(1) Philippe Goffe dirige Grafitti à Waterloo, en Belgique, et Agnès Avognon Adjaho fut directrice de Notre-Dame à Cotonou, au Bénin.