Depuis Corps à corps (Dupuis, "Aire libre", 2004), son formidable troisième album, dans lequel il se révélait un subtil observateur des obsessions et du désarroi des jeunes urbains d’aujourd’hui, Grégory Mardon a signé ou cosigné une quinzaine de titres d’importance variable. Il revient à son meilleur avec Prends soin de toi, un récit très personnel, qui accompagne pendant quelques jours un homme dévasté par une rupture amoureuse.
Redevenu célibataire à son corps défendant, Achille emménage, à Paris, dans un nouvel appartement dont l’ancienne propriétaire est décédée. Il tente vainement de tourner la page, d’oublier son amour perdu en se lançant dans de gros travaux de restructuration des lieux. Il abat des cloisons, décolle le papier, ponce le parquet et, devant la porte d’entrée, découvre une lettre non ouverte, qui s’était coincée sous la moquette usée quarante ans plus tôt. Il s’agit d’une lettre d’amour écrite depuis Marseille. Retrouvant l’adresse de l’expéditeur, dont le courrier n’a jamais pu recevoir de réponse, il décide de mettre le cap, en scooter, sur la cité phocéenne pour la lui rapporter. Sublimant sa propre déception amoureuse dans cette tentative de réparation d’un autre drame de l’amour, Achille suit, loin des sentiers battus, un chemin qui se veut rédempteur. De la conduite sur de petites routes peu fréquentées, où lui reviennent encore les échos de son bonheur passé, aux pique-niques au milieu des champs et aux baignades dans les fraîches rivières et les lacs de la France profonde, il passe une à une les étapes d’un rituel purificateur. A mesure qu’il s’enfonce toujours plus loin vers le sud, il fait le deuil de son amour qui ne reviendra plus.
Grégory Mardon évoque ce double parcours, physique et psychologique, dans des planches d’une grande puissance. En superposant les souvenirs désormais douloureux d’Achille et des images quasi archétypiques de la campagne et des petits bourgs français, il invite à un nouveau regard sur le paysage et sur les cartes postales qui s’efforcent de le restituer. Fabrice Piault