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Laurent Gaudé : « Le scénario de la fin du monde est devenue une éventualité »

Laurent Gaudé - Photo © Jean-Luc Bertini

Laurent Gaudé : « Le scénario de la fin du monde est devenue une éventualité »

Le prix Goncourt 2004, édité par Actes Sud, revient en librairie en novembre avec Même si le monde meurt, puis en mai 2024 avec Terrasses. Alors que Chien 51, s'est écoulé à 80 000 exemplaires GFK depuis sa sortie en 2022. Il évoque pour Livres Hebdo son goût pour la dystopie, à la croisée entre la Science-fiction et le thriller.

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Par Adriano Tiniscopa
Créé le 04.08.2023 à 10h28 ,
Mis à jour le 07.08.2023 à 12h14

Quel regard portez-vous sur Chien 51 (Actes Sud) , et cette œuvre s’inscrit-elle dans un moment particulier de votre carrière ?

Ça a été un vrai pari car c’est un ouvrage qui n’est pas de la même facture que mes autres romans. Par son côté anticipation d’une part, et de l’autre, par son intrigue policière. Ce ne sont pas mes terres habituelles et donc l’enjeu portait essentiellement sur l’écriture. Je devais réussir à m’approprier ces genres et en faire quelque chose à ma manière. Mais je n’allais pas devenir un auteur de polar ou de SF à 50 ans ! Il y avait aussi l’enjeu de la réception du livre : les gens qui aiment mon travail allaient-ils être curieux de suivre ce petit pas de côté ? Ça a été le cas, ce qui fait plaisir.

Lire : avant-critique de Chien 51

Le roman commence en Grèce qui vient de se faire racheter par une multinationale nommée GoldTex, est-ce un parallèle avec la situation politique du pays en 2015 ou est-ce que ça va plus loin ?

Le point de départ est effectivement une référence directe à la crise de la dette grecque mais ça s’arrête là. A ce moment, je me suis demandé ce qui se serait passé si une société mondiale avait dit : « Moi je peux acheter la Grèce ». Dans le livre je m’éloigne finalement du cas grec pour parler plus généralement des privatisations qui sont en cours à l'heure actuelle : celles des multinationales mais aussi celles des nations comme la Chine qui achète des terres en Afrique, le port de Pirée, etc. Mais également la privatisation de la guerre, par exemple avec les mercenaires Wagner.

Est-ce que vous donnez raison à certains géopolitologues dont les analyses projettent une troisième guerre des multinationales autour des ressources primaires ?

Je pense que la guerre économique a toujours existé. Il y a fort à parier qu’il y a des rivalités, de la compétition, de l’espionnage entre ces gros groupes qui se font des guerres économiques dont nous entendons peu parler. Mais je ne suis pas sûr qu’un scénario comme dans Chien 51 se réalise. Une multinationale n’a aucun intérêt à acheter un pays. Ces sociétés acquièrent des domaines d’activités, des terres, des ressources naturelles mais je ne crois pas au fait qu’elles puissent mettre la main sur un pays avec des citoyens. C’est là où Chien 51 est une fiction car en termes de profit ce ne serait pas un bon calcul pour elles.

« se projeter dans le futur est une très jolie manière de réfléchir à ce qui se passe en ce moment autour de nous »

Selon vous, est-ce plus simple de parler de la fin du monde que de celle du système capitaliste ?

Réussir à imaginer la fin du monde est compliqué même si nous savons que l’humanité est entrée dans une ère où ce scénario est une éventualité. Après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, la fin du monde était d'ailleurs déjà devenue une hypothèse. Je crois plutôt que nous avons plus de mal à imaginer la fin du monde que celle du système capitaliste et libéral car l’humanité a connu par le passé d’autres formes de fonctionnement. Je pense donc que nous pouvons plus facilement imaginer d’autres moyens de se gouverner. Le libéralisme s’est installé mais nous ne sommes pas à la fin de l’histoire. Je fais partie d’une génération qui a été bercée par cette perspective. Quand j’étais jeune homme dans les années 1980 et 1990, -je suis né en 1972-, nous avions peut-être plus ce sentiment de la fin de l’histoire, avec cette idée que les générations précédentes avaient connu des grandes choses. Nous avions l’impression de n’avoir rien vécu. 

Entre le polar et la SF, est-ce que vous allez poursuivre votre écriture vers cette voie ?

Quand j’ai écrit Chien 51 j’ai retrouvé des choses que j’avais effleurées dans La Dernière nuit du monde (Actes Sud, 2021). C’est une pièce d’anticipation qui narre un monde dans lequel le sommeil a disparu. Comment s’interroger sur un monde de demain qu’on imagine, qu’on invente ? Nous passons notre temps à s’interroger sur ce qui existe déjà, sur ce qui pourrait croître et prendre le dessus. Pour chaque élément du livre que nous pourrions suspecter de venir d'un monde futuriste, il est possible pourtant de lui trouver son pendant dans le monde actuel. Je trouve intéressant de faire cet aller-retour entre demain et aujourd’hui. Il est possible que je retourne sur cette voie. Je ne sais pas si ce sera une pièce, une nouvelle ou un roman mais je trouve que faire l’exercice d’imagination de se projeter dans le futur est une très jolie manière de réfléchir à ce qui se passe en ce moment autour de nous.

Que vous inspire ce que l’être humain est capable de faire avec l’intelligence artificielle (IA) ?

C’est un outil et une réalité qui va s’inviter dans énormément de productions d’écrits. Mais ça ne m’inquiète pas trop de mon point de vue d’écrivain de fiction. En tant que lecteur, derrière un livre je me dis qu’il y a un auteur parce qu’il y a une pensée percutante ou une imagination, des capacités que l’IA n’a pas démontrées. Elle n’est pas encore capable de faire cet autre chose qui font les grands textes et la langue des grands auteurs. Loin d'être parfaite, elle est au contraire accidentée, bizarre, avec une syntaxe particulière. Or, tout le processus de l’IA est de réunir ce qui s’est déjà fait pour produire quelque chose. Il n’y aura pas d’originalité de la langue. Il est possible que ça crée deux territoires différents : une littérature produite par des machines parfaitement paramétrées pour répondre à des demandes ou des attentes de lecteurs. Ce serait une littérature faite comme un sondage permanent. L'autre littérature, le contre-effet, ce serait des poètes aux écrits d'autant plus singuliers et bizarres, qui ne pourront pas être produits par des machines. Il y aura toujours des personnes qui auront envie de réagir à la masse dominante de la production.

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