Ce petit livre, mince en volume mais au propos ambitieux et aux idées claires, se présente comme une lettre de consolation à un écrivain, ami de l’auteur, qui, à cause de l’indifférence de la société à l’égard de son œuvre, a décidé de cesser d’écrire, et l’a annoncé publiquement, lors d’une ultime rencontre en librairie. Partant, il a aussi perdu le goût de vivre, et l’on craint qu’il ne se suicide, comme tant d’autres, désespérés, en leur temps, par l’état du monde : Primo Levi, Romain Gary, entre autres écrivains. Philip Roth, lui, a également cessé d’écrire, et est toujours de ce monde. Mais à quoi occupe-t-il ses journées ? Voilà pour le prétexte, mais, après tout, cet ami de Jean-Michel Delacomptée existe peut-être. Quant aux écrivains français, jeunes ou confirmés, qui désespèrent de se voir reconnus en leur pays, ils sont légion, voire majoritaires.
Ceci habilement posé, l’essayiste brillant, qui dirige depuis 2015 la collection "Nos vies" chez Gallimard, en vient au cœur de son projet : dresser un état des lieux sans concession de notre environnement. Avec notre langue, malmenée, anglicisée, amollie par des imbéciles, dans les médias, l’économie, la publicité, la musique, par exemple. Or "la question de la langue touche à la politique", écrit l’auteur. Et "francophonie rayonnante, France agrandie". Alors, pour inverser la tendance, "il faudrait un homme d’Etat qui renverse les tables". Des noms ? Avec nos mœurs : la France figure, dans le palmarès des pays les plus corrompus du monde, au 26e rang. Avec notre littérature, certes bien vivante, mais où tout se mélange, et où "l’honnête homme" a de plus en plus de mal à s’y retrouver, à distinguer le bon grain de l’ivraie.
Le professeur Delacomptée s’applique alors à l’y aider, avec rigueur et un humour aussi ravageur que sain. Sans compter un joli sens de la formule. Il distingue donc, sans la condamner, la littérature "majoritaire", grand public, de la "minoritaire", exigeante, celle-là servant à financer celle-ci. Le risque étant qu’elle disparaisse, car "non rentable". Au passage, il différencie roman et littérature, estimant que c’est en dehors du genre romanesque que se publient les livres les plus intéressants, et démolit quelques vaches sacrées de la "modernité" et de l’autofiction : Annie Ernaux, Christine Angot, par exemple, cette "Duras du pauvre". En revanche, il salue Virginie Despentes ou Edouard Louis.
Cet essai est salutaire, sévère mais pas pessimiste. Il invite à une prise de conscience, à un sursaut. D’ailleurs, à la fin, son ami fait lire à Delacomptée son nouveau manuscrit. J.-C. P.