Mort à Sienne - et non à Paris comme il le prédisait - en 1985 à l’âge de 62 ans, Italo Calvino, si attaché fût-il à son pays, à sa langue et à sa littérature, était un "oiseau migrateur", un polyglotte cosmopolite qui a transporté ses pénates dans plusieurs endroits du monde. Peut-être parce que, fils de scientifiques socialistes et écologistes avant l’heure, il était né à Cuba, à Santiago de Las Vegas, par hasard, en 1923.
Gallimard, qui a repris toute l’œuvre de Calvino et la republie dans des traductions nouvelles, nous propose aujourd’hui, rassemblés par Esther, la femme de l’écrivain, un recueil de dix-neuf textes inédits, en volume ou totalement, dont le point commun est d’être autobiographiques. Ils courent de 1953, un essai sur son "Turin d’adoption", jusqu’à 1985, un entretien testamentaire avec Maria Corti, pour la revue Autografo, où il revient sur son parcours : son histoire, son œuvre, ses villes.
Le volume est riche, où se succèdent, chronologiquement, interviews, textes brefs ou plus longs, de véritables essais : ainsi le Journal américain que Calvino tint en 1959-1960, durant son long séjour - fondamental - aux Etats-Unis et qu’il décida de ne pas publier. Une bonne centaine de pages passionnantes, choses vues à travers tout le vaste pays que Calvino a sillonné, de New York jusqu’à la Californie, en passant par Washington, Chicago, Detroit, Las Vegas, Savannah… Même si, comme il l’a martelé si souvent, New York était sa ville, tout l’intéresse, le ravit ou le choque, ainsi ce "racisme de masse" dont les Noirs étaient encore victimes en Alabama, exclus de l’université de Montgomery, manifestant pacifiquement et réprimés violemment par la police.
On notera aussi le grand nombre de textes où Calvino retrace son itinéraire politique, jeune homme marqué et révolté par le fascisme (son essai sur les différents portraits de Mussolini est excellent), résistant durant la guerre, entré ensuite logiquement au Parti communiste, dès 1944. Mais il en a démissionné en 1956, comme les meilleurs de l’intelligentsia européenne, après l’invasion de Budapest par les troupes soviétiques et leurs alliés. Paris, enfin, où il s’était installé, occupe une place à part dans sa cosmogonie : "C’est une ville que l’on consulte comme une encyclopédie." Un grand livre ouvert, où cet "ermite" se sentait chez lui. Jean-Claude Perrier