Un cocktail, une pièce de théâtre, une série de lectures musicales de textes… C’est à la Maison de la poésie de Paris, et dans le cadre du 33e Marché de la poésie, que Le Castor astral a choisi de célébrer, lundi 15 juin, son 40e anniversaire. Et pour cause : la poésie a toujours été dans l’ADN de la maison. "Aujourd’hui, même si la poésie n’est plus notre locomotive, elle garde une place patrimoniale au sein de notre catalogue. Nous avons été les premiers en France, par exemple, à publier l’œuvre du Suédois Tomas Tranströmer, prix Nobel de littérature en 2011", raconte Marc Torralba, le directeur général. Au début des années 1970, il fait la rencontre de Jean-Yves Reuzeau sur les bancs de l’IUT métiers du livre de Talence, à quelques kilomètres de Bordeaux. Les deux étudiants aiment le livre, mais n’envisagent pas un instant de devenir éditeurs. "A une époque où il y avait peu de petites maisons en France, nous imaginions qu’il fallait avoir un réseau à Paris, connaître des grands noms du milieu."
C’est au Québec, à la faveur d’un stage, qu’ils découvrent la vitalité de l’édition indépendante, bâtie autour de textes politiques, poétiques ou religieux. Là, aussi, qu’ils prennent goût aux noms audacieux donnés aux structures éditoriales locales, des Cahiers du hibou aux Herbes rouges. "Le Castor astral a été choisi sur les modèles des noms originaux rencontrés là-bas", précise en souriant le cofondateur, levant le voile sur le mystérieux patronyme.
Comme souvent dans l’édition, l’histoire commence autour d’une revue étudiante, imprimée artisanalement, regroupant des recueils et des anthologies de poésie contemporaine, écoulée sur le campus. Comme souvent dans l’édition, l’histoire aurait pu s’arrêter là, Jean-Yves Reuzeau s’installant à Paris tandis que son compère, piqué du virus de la fabrication de livres, s’implantait à Bègles pour mettre les techniques acquises au service d’autres éditeurs. "Notre catalogue s’est toujours construit ainsi, à distance", note Marc Torralba, soulignant leur statut de précurseur en région Aquitaine. Rapidement, la maison se professionnalise. Autodiffusée à l’origine, elle passe chez Distique au début des années 1980, puis à la diffusion-distribution des Puf, chez Diff-Edit et enfin chez Volumen depuis le rachat du Seuil par La Martinière. Tandis que d’autres maisons se concentrent sur une ligne régionaliste, Le Castor affirme ses ambitions nationales et internationales, avec une exigence éditoriale alliée à un goût du bel objet.
Pépites
Dédiée à la (re)découverte de pépites méconnues, la collection "Les inattendus" rassemble depuis 1988 des textes, indisponibles ou inédits, de Proust, Kafka, Jarry, Flaubert, l’une des dernières parutions étant une monographie consacrée à Paul Verlaine signée Stefan Zweig et encore jamais traduite en français. Apparue sous l’impulsion de l’auteur Hervé Le Tellier, la collection "Autour de l’Oulipo" se développe avec le travail de Bénédicte Pérot, responsable de communication et assistante éditoriale, qui a rejoint la branche parisienne du Castor astral en 2000. En 2008, la petite maison indépendante se fraie même un chemin dans les colonnes des grands quotidiens en récupérant les droits de l’œuvre romanesque et de la correspondance de Georges Bernanos, qui "végétait" chez Plon, son éditeur depuis 1926, et la parution de Sous le soleil de Satan.
Stones, Beatles, Pink Floyd…
Mais c’est avec sa production de livres sur la musique, riche et éclectique, que l’éditeur se construit un domaine d’expertise. Marc Torralba raconte la genèse de la collection "Castor music" : "Nous avons découvert un livre sur Jim Morrison qui n’avait pas été traduit. Du coup, nous sommes allés frapper à la porte de Warner, et on a vu que c’était possible !" Grands amateurs des Stones, des Beatles, de Pink Floyd, lecteurs de Best ou Rock & Folk, et poussés par le dynamisme de la scène rock bordelaise, les deux fondateurs se spécialisent dans les biographies de légendes, en s’autorisant quelques échappées hors des sentiers battus, notamment avec Perfecting sound forever, une histoire de la musique enregistrée, en mai 2014.
Sans s’éloigner de leur sainte trinité (poésie, littérature, musique… amen), les deux éditeurs, qui ont célébré en octobre dernier leur millième titre, restent attentifs aux évolutions du marché. Paru en mars dans la collection "Escales des lettres", La route des coquelicots, road-trip sentimental de Véronique Biefnot et Francis Dannemark, inaugure le virage de la maison vers de la "littérature populaire de qualité", selon les mots de Marc Torralba. Dans la même ligne, La déchirure de l’eau, premier roman du comédien nord-irlandais John Lynch contant les aventures d’un jeune garçon très imaginatif, paraîtra le 20 août.
Plus gros succès de la maison, les publicités parodiques et soignées d’Auguste Derrière complètent la diversité éditoriale en investissant le terrain de l’humour. Vendu "au minimum à 20 000 exemplaires chacun", des titres tels que Les moustiques n’aiment pas les applaudissements ou Les fourmis n’aiment pas le flamenco prouvent que, conformément au slogan, "le castor de papier et d’encre est un animal curieux, têtu et farouchement indépendant".