Ils sont six. Ils sont inconnus, si ce n’est dans leur pays, Israël, et auprès de ceux qu’ils eurent pour mission de surveiller, en annihilant au besoin les plans, les Palestiniens des territoires occupés. Chacun d’entre eux a dirigé entre 1980 et 2011 le service de la sécurité intérieure israélienne, le Shin Beth. Chacun l’a fait au mieux des intérêts de son pays, mais chacun a aussi dû pour cela s’arranger avec quelques-uns des principes moraux qui doivent guider toute démocratie, même face à un ennemi terroriste.
En 2011, le documentariste Dror Moreh leur a consacré un film fascinant, The gatekeepers, qui fut nominé aux Oscars et fit sensation en Israël, ouvrant les bondes d’un débat national sur les ambiguïtés de la politique antiterroriste du pays. Avec Les sentinelles, c’est la version écrite de ces entretiens filmés que nous propose aujourd’hui Héloïse d’Ormesson. A les lire, chacun des six entretiens prend une résonance peut-être plus troublante encore. Le conflit de loyauté, presque métaphysique, entre l’engagement sioniste et la volonté d’en préserver les valeurs premières - dans les rets ils se débattent -, est plus palpable encore. Ces six soldats ont un travail et le font du mieux possible. Seulement, s’ils savent pouvoir gagner chaque bataille, ils devinent qu’ils ne peuvent que perdre la guerre. En cause, la faiblesse, le cynisme, de la classe politique et singulièrement du Premier ministre sous lequel ils exercent leurs "talents" (à l’exception notable, selon eux, d’Yitzhak Rabin). Et c’est ainsi, de compromissions en renoncements, que se décompose sous le soleil du Néguev le plus pur et plus juste des rêves. Olivier Mony