Du diable, il avait tout sauf la beauté. Pour le reste, tout pour lui. Cet homosexuel plus ou moins notoire, amateurs de parties fines ou/et sadomasochistes, professa sans faille une homophobie acharnée, jusqu'à sa mort en 1986, des suites d'un sida qu'il nia jusqu'au bout préférant le présenter en cancer du foie. Ce fils d'une estimable famille juive new-yorkaise goûtait, pour l'essentiel, la compagnie des pires « wasp » antisémites. Membre discret du Parti démocrate pendant de longues années, il fut le compagnon de route, voire à l'origine, des pires dérives réactionnaires qui, de la Guerre froide jusqu'à aujourd'hui, ont traversé son pays et mené à l'abîme au moins moral que l'on sait.

Que l'on en juge : Roy Cohn, puisque tel était son nom, n'a que 22 ans lorsque ses manœuvres permettent l'exécution d'Ethel Rosenberg. Il est alors l'assistant zélé du sénateur McCarthy, dont il couvre par ailleurs les préférences sexuelles qu'il partage. Quelques années plus tard, après la chute de son mentor, il établit définitivement son cabinet d'avocat à New York, où il réussit à la fois à résister aux assauts menés contre lui par son vieil ennemi Bob Kennedy, tout en jouant un rôle crucial dans la victoire de Nixon en 1968. Il en fera de même avec Ronald Reagan, en devenant un familier du vieux cow-boy de la Maison-Blanche et surtout en lui présentant celui qui ne va pas tarder à être le mogul des médias de droite et d'extrême droite avec la création de la chaîne Fox News, le magnat d'origine australienne Rupert Murdoch. Enfin, dès les années 1970, il prend sous son aile un jeune promoteur immobilier aussi dépourvu de scrupules que lui et partageant une même cynique ambition, un certain Donald Trump.

C'est cette vie fastueuse- Cohn menait grand train entre Rolls-Royce et Studio 54, Warhol, Onassis ou Bianca Jagger- et fascinante par sa fidélité au mal que nous narre joliment le journaliste Philippe Corbé. Il démontre par la seule trajectoire de cet homme combien la chute du rêve américain ne date pas d'hier et était inscrite dans ses gènes démocratiques. Après Cohn, tout pouvait arriver. Ce fut le pire.