Un succès très grand pour moi/2

Le Dilettante et le miracle Gavalda

Olivier Dion

Le Dilettante et le miracle Gavalda

En lançant en pleine rentrée littéraire 1999 le premier recueil de nouvelles d’Anna Gavalda, tiré à 1 999 exemplaires, Dominique Gaultier a cru envoyer son auteure au casse-pipe, mais cette décision hasardeuse a fait du Dilettante une maison qui compte. Deuxième volet de notre série sur les très grands succès des petites maisons.

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Par Daniel Garcia
Créé le 14.04.2017 à 01h33 ,
Mis à jour le 20.04.2017 à 17h27

Si vous téléphonez aux éditions du Dilettante, vous aurez de grandes chances pour que ce soit le patron en personne, Dominique Gaultier, qui décroche. P-DG, standardiste, caissier, l’heureux éditeur d’Anna Gavalda et de quelques autres gros succès de librairie comme L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas, a conservé - la formule est de lui - un esprit de "petit boutiquier". C’est, du reste, cette distance héritée de ses débuts professionnels qui lui a permis de garder la tête froide quand une bonne fortune lui est soudain tombée sur la tête avec, justement, le premier titre d’Anna Gavalda, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. C’était il y a presque vingt ans.

Deux la même semaine

Automne 1998. La même semaine, Dominique Gaultier reçoit par la poste deux recueils de nouvelles d’auteures inconnues : Plaisir d’offrir, joie de recevoir d’Anna Rozen et le manuscrit d’Anna Gavalda, qui n’a pas encore de titre. Les deux recueils le séduisent. Il décide de publier d’abord Anna Rozen, en mai 1999. Le livre se vend à 15 000 exemplaires. "Pour des nouvelles, on peut parler de gros succès", résume Dominique Gaultier, qui ajoute, amusé : "Du coup, je décroche mon premier portrait dans Livres Hebdo." Dominique Gaultier n’en est pourtant pas à ses débuts. Sa maison, Le Dilettante, fondée en 1984, a déjà quatorze ans d’existence. Mais aucun best-seller à son actif, sinon "quelques succès d’estime, comme Vincent Ravalec ou Jackie Berroyer, qui nous assuraient une petite réputation".

Encore avant, Dominique Gaultier a été libraire, à l’enseigne Le Tout sur le Tout, une librairie d’introuvables fondée dans les années 1970 avec une bande de copains. La librairie accouchera d’une première maison d’édition, pareillement baptisée Le Tout sur le Tout et qui s’illustra, dans les années 1980, par la réédition d’auteurs comme Paul Gadenne ou Henri Calet. "Mais avec Le Tout sur le Tout, je ne faisais que de la réédition, j’ai fini par vouloir être éditeur à part entière."

Sa volonté est cependant de tout maîtriser de bout en bout, façon homme-orchestre. "Mon expérience de libraire m’avait appris que les représentants sont obligés d’aller à l’essentiel : ils ont trop de titres à défendre, alors ils font des impasses. Devenu éditeur, je tenais par-dessus tout à une relation directe avec les libraires." Il se charge donc lui-même de la diffusion comme de la distribution. Mais au bout d’une douzaine d’années, le pari n’est plus tenable : "Le catalogue s’étoffait, la maison commençait à être connue, l’organisation tenait de plus en plus du folklore, avec des livres stockés jusque dans les toilettes. Bref, je n’y arrivais plus."

Pas de limites

Dominique Gaultier se met alors à la recherche d’un distributeur. "Je voulais un gros. Car je raisonnais encore en libraire. Et dans l’imaginaire de beaucoup de libraires, qui dit petit distributeur dit petites ventes. Or, ma prétention n’avait pas de limites." Tous les distributeurs veulent bien de lui, à une condition : le prendre également en diffusion, ce que Dominique Gaultier refuse. Tous les distributeurs, sauf un : UD ou, "pour être plus exact,Alain Flammarion, qui décide de me faire confiance".

Le Dilettante entre chez UD en septembre 1998. Un an pile avant la parution du manuscrit d’Anna Gavalda, programmé pour la rentrée littéraire 1999. "Des nouvelles, en plein mois de septembre : j’avais bien conscience de l’envoyer au casse-pipe, la pauvre. Mais j’avais son manuscrit sous le coude depuis déjà un an…" Le livre, finalement intitulé Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, est royalement imprimé à 1 999 exemplaires. Un premier tirage qui sera épuisé avant même la fin du mois de septembre.

"Quelques libraires ont tout de suite repéré l’objet et nous en ont parlé sur le mode : "Tiens, vous tenez un truc pas mal." Surtout, la presse a fait son travail et a été réactive très vite dans un spectre très large, en gros de Télérama au Figaro §", se souvient Dominique Gaultier. Résultat : 4 000 ventes en octobre, 8 000 en novembre, 12 000 en décembre… Rétrospectivement, l’éditeur mesure sa chance d’être passé chez un grand distributeur au bon moment. "Quand un livre doit se vendre, il se vend, mais il est évident que je n’aurais pas pu assurer tout seul l’envoi d’autant d’exemplaires en un temps si court, reconnaît l’éditeur. Il aurait fallu improviser. "

Le succès ne "bugue" pas avec le passage à l’an 2000. Bien au contraire : En mars, le prix RTL/Lire, décerné au Salon du livre, va encore accélérer le phénomène." Bilan des courses : au moment de son passage chez J’ai lu, deux ans plus tard, l’ouvrage s’est déjà écoulé à 240 000 exemplaires. Le poche va démultiplier son audience avec 1,5 million d’exemplaires vendus en quelques mois.

Des chiffres qui, même s’il s’y est habitué depuis, émerveillent encore Dominique Gaultier. "Le miracle, avec Anna Gavalda, c’est que ça marche à tous les coups, du moins, jusqu’à maintenant", dit-il. Mais, en 2000, c’était de l’inédit. J’étais dans l’inconnu total mais, heureusement pour moi, l’histoire de Je voudrais que quelqu’un… n’avait rien d’une flambée à la Daniel Pennac, où il suffit qu’il fasse une émission de télé pour que le lendemain ses livres s’arrachent. Elle tenait plutôt du long fleuve tranquille. Cela m’a aidé à plutôt bien maîtriser le phénomène."

Economie albanaise

N’empêche, quasiment du jour au lendemain, Le Dilettante est passé "d’une économie albanaise" à une relative abondance. "J’ai acheté des beaux ordinateurs, je me suis enfin octroyé un salaire décent, après des années à me payer au Smic et, surtout, j’ai engagé un directeur commercial, Claude Tarrène, un ancien du Serpent à plumes, qui est toujours, aujourd’hui, chargé de la relation directe avec les libraires. Mais je n’ai succombé à aucune folie des grandeurs. Là encore, mon expérience de libraire m’a servi : je savais que ce n’est pas parce qu’on a réussi un beau coup que les livres suivants se vendront. Et puis, quand une aventure pareille vous arrive au bout de quinze ans de vaches maigres, vous êtes immunisé contre la grosse tête…"

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