Quand on le découvre oisif et alcoolique, campant dans un champ de tournesols aux marges d'une cité d'aujourd'hui, entre prostituées et SDF, Eustis erre déjà depuis plusieurs siècles dans notre monde, vivant chichement de ses petits pouvoirs de divination, réparant les humains. Eustis est un satyre, une divinité de rien du tout qui gravitait autour de Dionysos, festoyait avec Pan. Un jour qu'il voyageait vers Delphes avec le dieu de la vigne, du vin et de l'ivresse, il a aperçu une nymphe et n'a pu s'empêcher de la prendre en chasse, mécontentant Artémis, l'une des filles de Zeus, et sœur d'Apollon. Celle-ci s'est empressée de le chasser du domaine des dieux. Depuis, il a parcouru le monde en tous sens, sans jamais plus rencontrer ses semblables, se convainquant peu à peu de leur totale disparition.
Les dieux grecs sont toujours là pourtant, tout autour de lui, et donc de nous, simplement dérobés à sa vue par la malédiction dont il est l'objet. Un mystérieux fantôme l'amène d'ailleurs à rencontrer Hécate, l'une des sœurs d'Artémis, à laquelle il a rendu service sans le savoir, et qui lui propose de rendre un autre service à la troisième sœur, Séléné, afin d'obtenir sa rédemption. Eustis va quitter son champ de tournesols. Lesté d'un sac à dos d'autant plus solide qu'il ne peut s'empêcher d'y glisser quelques bouteilles de Bordeaux, accompagné d'un pittoresque professeur enthousiasmé par la perspective de rejouer avec lui l'Iliade et l'Odyssée, le voilà sur la route, prêt à braver tous les dangers.
Evoluant entre mythologie et réalité dans un monde plein de surprises, Eustis tient alors tout autant de l'Ulysse d'Homère que de l'Alice de Lewis Carroll. A défaut de pays des merveilles, il traversera le royaume des invisibles, affrontera mille périls, croisera des sortes de Frankenstein, de Freud ou de Van Gogh en qui il croira parfois reconnaître des dieux, à moins que ce ne soit le contraire. Formé à l'Académie des beaux-arts de Brera, à Milan, Fabrizio Dori multiplie les clins d'œil et brouille les pistes de cette quête incertaine dans un festival de couleurs chatoyantes. Il compose sur un rythme endiablé une folle sarabande qui se joue du temps et abolit les frontières du réel et de la mythologie. Avec lui, le domaine des dieux est bien plus vaste qu'on ne l'imaginait.
Le dieu vagabond
Sarbacane
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 25 euros ; 160 p.
ISBN: 978-2-377-31046-3