Le traitement de l’actualité par la presse comme par l’édition est un défi permanent pour ceux qui chérissent le respect de la présomption d’innocence.
Mon confrère Patrick Férot, avocat au Barreau de Lille, a livré, en 2016, aux éditions Ovadia, un copieux et essentiel ouvrage intitulé La Présomption d’innocence. Essai d’interprétation historique.
Il y montre « comment la présomption d'innocence, au point d'achèvement d'une évolution complexe, est reconnue à la fois comme un droit de personnalité, qui a sa place, à ce titre, dans le code civil et un principe procédural, de force constitutionnelle, qui gouverne la charge de la preuve ». Mais Patrick Férot constate qu’on assiste « dans les affaires les plus sensibles, politiquement, financièrement ou moralement, et qui donnent lieu à une instruction préparatoire des plus importantes, à une abolition de fait de la présomption d'innocence ».
Et l’auteur de poser la question : « Faut-il admettre qu'aucun impératif prépondérant d'intérêt public ne s'oppose au déballage sur la place publique de pièces d'un dossier d'instruction, au mépris de la présomption d'innocence établie par la Constitution ? ».
Cet ancien principe de la présomption d’innocence a été initialement inséré à l’article 9-1 du Code civil par la loi du 4 janvier 1993. Le texte sanctionnait le fait de présenter comme coupable une personne impliquée dans une affaire pénale dont la police ou la justice était saisie : la loi évoquait la faculté d’agir contre les éditeurs pour les personnes faisant l’objet d’une garde à vue, d’une mise en examen, d’une citation à comparaître, d’une plainte avec constitution de partie civile, etc.
Depuis une loi du 15 juin 2000, le nouvel article 9-1 autorise les poursuites - sur le fondement du respect de la présomption d’innocence - de la part de ceux qui ne sont l’objet d’aucune enquête ou procédure…
Sémantique
Une partie de la presse a du mal à se faire à ces règles essentielles - continuant même de parler régulièrement de « présumés tueurs » au mépris de la présomption d’innocence. Soulignons enfin que Nicolas Sarkozy avait, en qualité de ministre de l’Intérieur, annoncé l’arrestation de « l’assassin du préfet Erignac » ; avant de changer de vocabulaire dès le lendemain matin. Les délais plus « confortables » dont dispose l’édition ne doivent pas la lui faire ignorer.
Par ailleurs, en vertu de la loi de 2000, l’article 9-1 du Code civil punit fermement la diffusion d’une image faisant apparaître un accusé menotté tant que sa culpabilité n’est pas établie.
Ce qui aboutit en général à la diffusion par les journaux télévisés de scènes dans lesquelles les justiciables déférés devant la justice sortent des fourgons de l’administration pénitentiaire pour rejoindre la salle d’audience avec un blouson sur les bras, masquant ainsi les menottes qui les entravent…
Pire, le public français a pu voir, sans ces précautions grotesques, aussi bien Dominique Strauss-Kahn que Bertrand Cantat ou encore de nombreuses personnes impliquées dans des affaires de terrorisme.
Diffamation
Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel avait d’ailleurs condamné, le 17 mai 2011, la diffusion d’images de Dominique Strauss-Kahn à New-York et demandé « la plus grande retenue dans la diffusion d’images relatives à des personnes mises en cause dans une procédure pénale » afin de respecter « la dignité humaine »…
Et, alors que le maire de New-York défendait, avec conviction, le perp walk, il était revenu sur sa position le 5 juillet 2011, après la libération sur parole de Dominique Strauss-Kahn, en qualifiant cette tradition de « monstrueuse ». Il a ajouté : « nous diffamons les accusés au nom d’un spectacle, pour le cirque que cela représente ».
La juge du Tribunal pénal de la ville de New-York, Mélissa Carow Kacjson, a, par la suite, regretté la diffusion de ces images en indiquant : « Il y avait une telle pression que je me suis laissée convaincre, mais je n’aurais jamais dû laisser rentrer tant de photographes ».
Droit et Images
En 2003, Bertrand Cantat avait eu droit à une multitude d’images diffusées en France, en violation de ses droits, tandis qu’il était conduit menotté au palais de justice Vilnius. Avant de n’être plus filmé qu’à hauteur de visage pour éviter tout risque de procès.
En août 2015, Ayoub El-Khazani avait été présenté dans la presse comme « le terroriste du Thalys ». Sans compter les images qui avaient été diffusées de son arrestation en gare d’Arras ou lors de son arrivée au palais de justice de Paris, le montrant entravé, voire menotté. Certains médias avaient flouté son visage, ses mains et beaucoup avaient violé de façon plus ou moins consciente et erratique les règles qui gouvernent la présomption d’innocence.
L’actuel article 9-1 aboutit par ailleurs à cette forme d’hypocrisie interdisant de montrer une personne menottée au nom de son innocence présumée et de sa dignité alors que, jusqu’à nouvel ordre, les menottes restent largement en vigueur, et pas seulement dans les soirées SM chères à certains protagonistes des faits divers…
Concluons en relevant que la loi de 2000 a également prohibé les sondages sur la culpabilité d’une personne et que cette seule disposition semble pleinement respectée.