Spécialiste de la Renaissance et du XVIIe siècle, l’essayiste Jean-Michel Delacomptée ne pouvait ouvrir son livre que sur François de Malherbe, le premier ordonnateur de la langue française, déjà célébré en son temps par Nicolas Boileau et son fameux "Enfin Malherbe vint", puis par Francis Ponge dans son Pour un Malherbe, en 1965, liste à quoi il ajoute Charles Péguy ou Georges Bernanos, convoqués aussi à la barre des témoins.
Car cet essai peut se lire comme un réquisitoire contre les ennemis de l’intérieur, institutions, publicitaires, communicants, journalistes, patrons, hommes politiques, technocrates, et même enseignants, qui massacrent le français, comme ils massacrent la cuisine. Si la pratique du français n’est pas assez défendue dans le monde, c’est parce qu’il est torpillé dans l’Hexagone même, mal aimé, malmené, méprisé, remplacé petit à petit par une novlangue farcie de globish, pour des raisons idéologiques : jeunisme, diversité, pseudo-féminisme, minorités sexuelles, négation des genres grammaticaux, tout est bon à nos nouveaux trissotins pour légiférer. Sans parler de l’"écriture inclusive", à la fois illisible et imprononçable à haute voix. Le constat est rude, mais argumenté, en dépit de quelques exagérations et affirmations. Ainsi quand il déplore que "dans la presse écrite […], les pigistes concurrencent les plumes à panache". Ne saurait-on être les deux ? Les écrivains et chroniqueurs qui interviennent dans les journaux y sont rarement permanents. On préfère quand Jean-Michel Delacomptée fustige les vrais coupables, quand il dépeint l’époque telle qu’elle est, et quand il puise dans sa vaste érudition quelques belles citations : "La France, c’est la langue française" (Braudel) ; "Ma patrie, c’est la langue française" (Camus) ; ou encore : "Il faut être violemment patriote en ce moment : patriote français et patriote de la civilisation gréco-latine française" (Ponge). Le vent est peut-être en train de tourner, au sommet de l’Etat : "Enfin Macron vint", écrit Delacomptée. Un président lettré, "qui goûte lesmots", devrait être sensible à leur sauvetage. Une note d’espoir dans ce sombre tableau. Jean-Claude Perrier